Séminaire
L’iconographie
musicale et l’art occidental
IreMus-INHA
Compte-rendu
Séance
du 18 février 2015
Introduction
A l’occasion de cette séance du
séminaire, Fabien Guilloux – musicologue, spécialiste de la
culture musicale dans les milieux conventuels et monastiques à
l’époque moderne – propose une synthèse des recherches qu’il
a effectuées au sujet des représentations iconographiques de Saint
François d’Assise. Il a ainsi publié, en 2010, une monographie
intitulée Saint François
d’Assise et l’ange musicien. Thème et variations iconographiques
dans les collections du Museo francescano de Rome,
ainsi qu’un article paru en 2012 et nommé « Saint-François
d’Assise et l’ange musicien. Un topos
iconographique et musical chrétien ».
Son intervention traite d’une large
période qui s’étend du XIVe
au XVIIIe
siècle. Il s’agit premièrement de présenter un peu le catalogue
des œuvres picturales et ensuite de s’interroger sur le sens,
l’usage et les raisons d’être de l’image ici étudiée. Avant
d’entrer en matière, M. Guilloux rappelle qu’il adopte le point
de vue de l’historien, que son analyse s’inscrit dans une
perspective de philologie musicale et qu’il expose, à la manière
humble et honnête de l’historien Henri-Irénée Marrou, son
interprétation propre de l’iconographie avec toutes les limites
que cela présuppose. Citant ce dernier, Fabien Guilloux propose
ainsi, avec humour, de nous faire partager l’objet de ses
« insomnies ».
Corpus,
catalogues, présentation de l’image
Le corpus des œuvres concernées
comporte plusieurs centaines d’images et se compose d’un grand
nombre de variantes. Les dénominations attribuées aux œuvres sont
donc très variables et afin de les englober toutes, Fabien Guilloux
propose l’intitulé le plus large possible : « Saint
François d’Assise et l’apparition d’un ange ». C’est
une représentation importante de l’époque moderne marquée à la
fois par une omniprésence géographique en Europe entre 1580 et 1800
et par un ensemble comparable aux images de Sainte Cécile et du roi
David. Enfin, elle s’inscrit parfaitement dans les rapports
qu’entretiennent la musique et le divin.
Les sources principales proviennent du
Musée Franciscain de Rome. Il faut aussi mentionner les bases de
données documentaires Iconclass, Euterpe et le RIdIM.
De même, Fabien Guilloux propose un modèle de fiche iconographique
très utile pour inventorier les images.
Carlo
Saraceni (1580-1620),
Saint
François d’Assise et l’ange musicien
(1620).
Huile
sur toile (243,5 x 167,4 cm). Munich, Alte Pinakothek (Inv. 113)
|
Les images traitent d’un épisode
marginal parmi les récits de la vie de Saint François d’Assise.
Alors que le saint médite sur les vanités du monde (cf.
la présence du crâne posé sur la table dans l’exemple de
représentation ci-contre), un ange musicien lui « apparaît ».
Ce tableau est une image spécifique
qui s’inscrit dans les visions et extases de la peinture
post-tridentine, mais il constitue une bonne entrée en matière.
Se pose alors plusieurs questions : Quelle est la provenance
de cette image topique ? Quelles sont les images
préexistantes ? Quels sont les récits oraux ou écrits qui
l’inspirent ?
Par
ailleurs, Saint François voit-il l’ange ou ne fait-il que
l’entendre ? L’image étant « inaudible »,
comment produit-elle une forme de métaphore du son ?
|
Origines,
usages, sens et raison d’être de l’image
Les premières images datent du XIVe
siècle et sont créées au sein de la cours pontificale d’Avignon.
Pour adopter un point de vue un peu plus large, M. Guilloux présente
sept images – deux appartenant à l’Atelier avignonnais (ca.
1330), une appartenant à l’Atelier germanique (1516), une
appartenant à l’Atelier italien (post.
1344), deux appartenant à l’Atelier ombrien (ca.
1330-1350 et 1457) et une attribuée à Sybilla von Bondorf (Freiburg
im Breisgau, ca.
1470). La plupart de ces images illustre l’ouvrage Legenda
maior (1262) de S.
Bonaventure. En apparence assez standardisées, ces images
présentent des particularités distinctes : espace clos le plus
souvent mais parfois ouvert ; position de Saint François sur
son lit ; place, position et nombre d’anges ; références
spécifiques (l’eau changée en vin par exemple).
Les récits relatant cet épisode de la
vie de Saint François constituent un ensemble complexe qui explique
pour une part la complexité des images. A cela s’ajoute les
controverses sur l’interprétation des visions (les saints
peuvent-ils avoir des visions de leur vivant ?). A travers les
récits, on peut retracer une « généalogie » de
l’épisode – cf.
schéma ci-dessous – depuis des sources datant probablement du
XIIIe
siècle, parfois anonymes, et dont les principaux relais sont Thomas
de Celano (1246-1247), S. Bonaventure (1262) et Frère Jean
(1369-1374) ainsi que la Compilation
d’Assise (ca. 1310-1312) et
le Delle Sacre Sante Istimate
di S. Francesco (1350-1400)
lui-même inspiré du De
conformitate (1385-1399) de
Barthélémy de Pise.
Ces sources présentent, à travers ces
filiations, des différences non exemptes, parfois, de la recherche
d’une « version officielle » (en témoigne l’ordre
donné, à partir de 1266, de détruire toutes les versions
antérieures au récit de S. Bonaventure). Par exemple, alors que les
premiers récits présentent cet épisode sous forme de l’audition
d’une cithare – Saint François, à proprement parler, ne
« voit » rien –, les récits de Frère Jean et surtout
celui du Delle s. Istimate
(écrit en toscan et dont il ne persiste aucune version latine
antérieure) se distinguent des autres par la mention d’une viole
et à travers l’histoire d’une véritable vision : « […]
il lui apparut tout à coup un Ange d’une très grande splendeur,
qui tenait une viole de la main gauche et l’archet de la droite ;
et comme saint François demeurait tout frappé de stupeur à la vue
de cet Ange, celui-ci passa une fois l’archet une fois l’archet
sur la viole ; […] ».
A la manière des récits, les images
changent peu à peu de statut. Passant de la miniature et du livre à
la fresque ou au tableau, l’image se fait mixte en mêlant
narration et icône. Ainsi, dans le tableau de Paolo Piazza, dont la
seule représentation qui nous reste est celle de Raphaël I Sadeler
(1604-1606), Saint François n’est plus représenté dans sa
chambre mais dans l’infirmerie du monastère et l’image se charge
de symboles chrétiens. Elle se fait aussi parfois initiation
spirituelle comme dans la représentation de Philipp Galle
(1587) mettant en scène Saint François face au démon et divers
épisodes de sa vie dont l’apparition de l’ange.
Au
cours de la période 1580-1620, de nouvelles images apparaissent
dans le milieu romain. Et l’on peut alors affirmer que l’épisode
de l’ange musicien remplace l’image de Saint François
recevant les stigmates. Dans le tableau de Francesco Vanni
(ci-contre), le saint est représenté comme le « père du
désert » ayant résisté à la tentation et l’ange
accorde son instrument rappelant le topos de l’accord mystique.
Peu à peu est introduit ainsi le motif de la « consolation
angélique » comme dans la représentation du Caravage (ca.
1594-1595).
|
Francesco
Vanni (1563-1610),
Saint
François d’Assise et l’ange musicien
(ca. 1592-1595).
Gravure
au burin (23,4 x 17,7 cm).
|
Conclusion
Ainsi, à travers ces images, Saint
François s’affirme peu à peu comme le fondateur de l’ordre
franciscain. L’épisode de l’apparition de l’ange constitue une
allégorie de la vie spirituelle, l’image étant d’ailleurs
parfois présentée au sein même de l’église, en son cœur, comme
lieu métaphorique d’une intériorité spirituelle vivante à
conquérir. En témoigne par exemple les Canti
spirituali (1664) de Carlo da
Sezze, poème religieux, ainsi que les commentaires écrits la même
année et intitulés Camino
interno dell’anima (1664)
dans lesquels l’auteur fait parler l’ange musicien.
Questions
-
Martin Guerpin : ce que l’on
apprend de nouveau à travers ces recherches.
-
Catherine Deutsch : le dialogue
musical : comment rendre l’audible (à travers un oratorio
par exemple) ?
-
Isabelle Marchesin : un lien
iconographique et musical qui figure une transition d’un lieu à
un autre (terrestre / céleste).
-
Florence Gétreau : il serait
intéressant de réaliser une cartographie des œuvres afin de
répondre à la question « pourquoi de nouvelles images à
Rome entre 1580 et 1620 ? ».
-
Laurent Guillo : l’épisode représenté
fonctionne à la manière d’un phénomène physique. L’extase
est un changement d’état et la musique est la condition
particulière de ce changement d’état.
-
Théodora Psychoyou : que peut-on
déduire de l’accord de l’instrument par l’ange ?
-
Vassili Ptakhine : pourquoi
passe-t-on au topique de la consolation angélique ? A relier
avec le topos du christ mis au tombeau (cf.
Pauline Askew).
-
Isabelle Marchesin : en guise de
conclusion, rappelons qu’un même lieu ou thème peut avoir des
interprétations extrêmement différentes.
Vassili
Ptakhine
Professeur
agrégé de Musique
Etudiant
en Master II de Musicologie
(Paris
IV)