La notion de "musicalité" dans la sculpture romane
Sébastien Biay
Le
mercredi 2 avril, lors du séminaire de l'équipe Musiconis, l'historien de l'art
Sébastien Biay, est intervenu afin d'évoquer la notion de musicalité dans l'art
du haut Moyen Age et de l'époque romane.
La
problématique dégagée de son intervention s'est cristallisée autour de
l'ornemental dans l'image préromane et romane, reprenant ainsi la théorie de
l'ornemental élaborée par Jean-Claude Bonne[1].
La difficulté du questionnement sur l'ornemental vient de la place que l'on
accorde à celui qui observe l'image. Cette difficulté rejoint l'idée de la
place à accorder aux différents éléments qui constituent un objet. Sébastien
Biay nous en a fait part en commentant un chapiteau de l'abbaye de Conques
représentant une scène musicale, constituée aussi d'éléments annexes, comme les
végétaux. On observe alors bien la notion de strates différentes au sein d'une
image. Une strate la plupart du temps narrative ou historique, ontologique en
somme, et une autre strate ne prenant pas place dans la réalité de la première
mais évoluant en parallèle de celle-ci. C'est cette deuxième strate qu'occupe
l'ornemental. N'étant pas partie prenante de la scène représentée, quel est le
rôle de l'ornemental ? Sa place peut être purement décorative, l'artiste aura
pu l'utiliser pour remplir des espaces vides, mais il peut aussi avoir un rôle
plus structurel, comme un commentaire non littéral de la scène représentée.
Quant
aux caractéristiques et formes de l'ornemental, les possibilités sont diverses
: l'ornement peut être représenté par des formes géométriques, végétales ou même
abstraites. Il peut également utiliser différents modes de jeux chromatiques,
de contrastes de couleurs et être complexe ou plus simple dans sa construction.
Sébastien
Biay, après avoir évoqué les difficultés de compréhension et d'interprétation
que pose l'ornemental à celui qui analyse une image, a ensuite proposé
certaines définitions et manières de considérer l’ornemental au sein d'une
image. L'ornemental peut être considéré comme un « modus operandi » ayant une
fonction structurante au sein de l'image. En ce sens l'ornemental traverse les
genres. Il n'est pas nécessairement en marge de la scène. Il peut également
s’entremêler avec les éléments figuratifs sans pour autant en devenir un lui-même.
Quelle que soit sa position, son rôle est le même ; donner ou recevoir du sens.
Selon Sébastien Biay l’ornemental peut
se définir ainsi : tout ce qui interagit avec le monde du signe, par des
formes, des rythmes, des nombres, des couleurs, par son interaction de
l’extérieur ou de l’intérieur, et sans y perdre son autonomie visuelle.
À la suite de ces définitions, Sébastien
Biay a présenté deux images différentes dans lesquelles, l'ornemental est
utilisé en bordure de la scène. La première représente le Lion de Marc[2].
Ainsi un rapport sans contact se crée entre la bordure (l'ornemental), et le sujet
(le Lion de Marc), par le jeu des couleurs et des formes. La
deuxième est une scène musicale, tirée du psautier Vespasien (ci-dessous). La bordure est en forme d'arcade, faite de motifs ornementaux
très riches qui ne pénètrent pas à l’intérieur de la scène. Dans cette scène,
l'ornemental structure l'image en trois parties, une partie basse, une partie médiane
et une partie haute. Sébastien Biay a évoqué le lien entre l'ornemental et la
scène en nous montrant la manière dont les motifs géométriques de l'ornemental
devenaient de plus en plus courbes à mesure que l'on prenait de la hauteur dans
l'image. Ainsi, l'ornemental qui n'appartient pas à la scène résonne de la
structure même de l'image, ou peut-être l'influence. Ainsi, le sens de l'image ne
se situe pas dans la somme de la scène et de l'ornemental, mais dans la
relation qu'entretiennent ces deux éléments. L'ornemental a donc une fonction
symbolique : la partie basse pourrait correspondre aux profondeurs de la terre
représentées par les larves, la partie médiane pourrait représenter la terre,
le lieu des hommes, et la partie haute pourrait symboliser les cieux, le lieu
divin. Cet exemple illustre bien les divers sens que l'ornemental peut
attribuer à une image.
Londres, British Library, Cotton MS Vespasian A I, fol. 2-160, Psautier Vespasien, fol. 30. |
En
conclusion la relation scène et ornemental a-t-elle un caractère contingent ou
essentiel ? Il est évident que cela dépend du contexte intellectuel. Sébastien
Biay nous propose sa vision en tant qu'indexant qui est la suivante : si
l'image se développe avec une telle richesse et une telle diversité dans
l'Occident médiéval, c'est qu'elle reste ambivalente sur cette question.
Amaury Duret et Alexandre Trinta
étudiants en Master 2 musicologie
[1] Jean-Claude Bonne, « De
l'ornemental dans l'art médiéval (VIIe-XIIe siècle) : le modèle insulaire »,
L'image. Fonctions et usages des images dans l'Occident médiéval. Actes du
6e International workshop on medieval societies, Centre Ettore Majorana (Erice,
Sicile, 17-23 octobre 1992), éd. J. Baschet et J.-C. Schmitt, Paris, Le Léopard
d'Or, 1996, p. 207-240 (Cahiers du Léopard d'Or).
[2] Dublin, Trinity College, ms. 57,
Livre de Durrow, fil. 191 verso.
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