Chantres, Psautier-heures MS 0121, 1330-1340, BM d'Avignon |
La vocalité en images, la figure du chantre dans les manuscrits médiévaux
Isabelle Marchesin
Dans le cadre d’une réflexion interdisciplinaire sur les
images, Isabelle Marchesin a présenté son travail sur la figure du chantre dans
les manuscrits médiévaux. Elle a ainsi réuni un corpus d’environ 80 manuscrits datant des premières apparitions des
images de chantres à la fin du XIIe siècle, jusqu’au XIVe
siècle, et l’a classé dans un tableau à plusieurs entrées, qui met en évidence
plusieurs découvertes permettant de formuler des hypothèses. Tout d’abord, il
semble que la figure du chantre soit relativement absente des manuscrits
comportant de la notation musicale ; de plus, ces images étant fort rares
dans les missels et les pontificaux, on peut en déduire que les représentations
des chantres n’étaient pas liées à la liturgie. Quoi qu’il soit, il est
important de rappeler le double statut de l’image dans le manuscrit : à la
fois un repère visuel et une image articulée avec le texte.
La figure du
chantre n’apparaît dans la lettrine C (du cantate)
du psaume 97 qu’à l’époque dite « gothique », puisqu’une des
premières occurrences iconographiques est daté de la fin du XIIe
siècle, dans un manuscrit italien conservé en France. Pour les enluminures
antérieures de ce Psaume, Isabelle Marchesin a remarqué des éléments animaliers
que l’on aurait pu croire « décoratif », mais qui ont la bouche
ouverte, induisant la notion de chant, très logiquement dans la lettrine du cantate. On trouve également le Christ
Logos, celui qui, par le Verbe crée et restaure l’ordre du monde, qui est
musical puisque l’on parle de l’harmonie du monde. La notion de vocalité par la
bouche ouverte et par le Verbe divin est donc précurseur à la mise en place des
chantres dans la lettrine C du psaume 97.
Chantres, Bible Ms 0262 t. IV, XIIIe siècle, BM du Mans |
À l’étude des
premières images de chantres, Isabelle Marchesin a également mis en valeur un
véritable changement de paradigme grâce à la façon dont sont représentés ces
chantres. Dans le manuscrit italien de la fin du XIIe siècle, le
chantre est debout, la bouche grande ouverte et il tient un bâton cantoral.
Dans un manuscrit légèrement postérieur, produit à Paris au début du XIIIe
siècle, le chantre est devant un lutrin sur lequel est posé un livre et la
bouche n’est qu’entre-ouverte. L’hypothèse formulée est alors que le premier
exemple est une image du chantre en tant que personnage ou même archétype,
alors que le second est la représentation de la musique elle-même : musique
savante dont la complexité est mise en valeur par le livre. Le développement de
l’iconographie des chantres à lutrin dans le milieu parisien s’inscrit dans la
logique de ce premier grand changement de paradigme : il s’agit alors de
figurer une musique savante dont la qualité scientifique ne réside plus dans
les rapports mathématiques (comme c’était le cas dans le milieu monastique)
mais dans la complexité de la pratique du chant lui-même. Ce changement de
point de vue viendrait de ce que les enlumineurs de ces images étaient
majoritairement des laïcs appartenant à des ateliers urbains, et non plus des
moines. Ainsi, l’image du chantre, d’abord élaborée par des clercs et surtout
par des moines pratiquant eux-mêmes le chant, fut ensuite reprise et réinterprétée
par des laïques qui ont cherché à mettre en valeur la musique dans son aspect
de pratique savante, le contexte de l’émergence de l’organum à Paris, notamment celui de l’école de Notre-Dame,
particulièrement complexe et riche.
• Ouverture de la recherche :
Des pistes de recherches ont été ouvertes
grâce à la discussion dans laquelle sont intervenus Katarina Livjljanic -
spécialement invitée pour son travail musicologique lié à l’interprétation de
la musique médiévale (ensemble Dialogos) - , Isabelle Ragnard et Frédéric
Billiet ; certaines idées à creuser ont ainsi été évoquées,
notamment :
- la représentation des vêtements
liturgiques et leur incidence sur la musique produite par les chantres
(hiérarchie, polyphonie ?).
- la question de la représentation de la
monodie et de la polyphonie dans les images de chantres (gestes spécifiques,
positions des corps ?).
- l’usage et les fonctions signifiantes
du rotulus.
- la question de la représentation en
image de l’espace sonore dans lequel sont inscrits les chantres (utilisation du
fond or, relation au cadre et à la lettrine, etc.).
-
l’extériorisation de la musique avec la prise en compte des points de vue des
chanteurs d’aujourd’hui sur les différents gestes. Welleda Muller
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.