jeudi 9 février 2012

Compte rendu du séminaire du 29 septembre 2011

Chantres, Psautier-heures MS 0121, 1330-1340, BM d'Avignon
La vocalité en images, la figure du chantre dans les manuscrits médiévaux

Isabelle Marchesin

Dans le cadre d’une réflexion interdisciplinaire sur les images, Isabelle Marchesin a présenté son travail sur la figure du chantre dans les manuscrits médiévaux. Elle a ainsi réuni un corpus d’environ 80 manuscrits datant des premières apparitions des images de chantres à la fin du XIIe siècle, jusqu’au XIVe siècle, et l’a classé dans un tableau à plusieurs entrées, qui met en évidence plusieurs découvertes permettant de formuler des hypothèses. Tout d’abord, il semble que la figure du chantre soit relativement absente des manuscrits comportant de la notation musicale ; de plus, ces images étant fort rares dans les missels et les pontificaux, on peut en déduire que les représentations des chantres n’étaient pas liées à la liturgie. Quoi qu’il soit, il est important de rappeler le double statut de l’image dans le manuscrit : à la fois un repère visuel et une image articulée avec le texte.

La figure du chantre n’apparaît dans la lettrine C (du cantate) du psaume 97 qu’à l’époque dite « gothique », puisqu’une des premières occurrences iconographiques est daté de la fin du XIIe siècle, dans un manuscrit italien conservé en France. Pour les enluminures antérieures de ce Psaume, Isabelle Marchesin a remarqué des éléments animaliers que l’on aurait pu croire « décoratif », mais qui ont la bouche ouverte, induisant la notion de chant, très logiquement dans la lettrine du cantate. On trouve également le Christ Logos, celui qui, par le Verbe crée et restaure l’ordre du monde, qui est musical puisque l’on parle de l’harmonie du monde. La notion de vocalité par la bouche ouverte et par le Verbe divin est donc précurseur à la mise en place des chantres dans la lettrine C du psaume 97.

Chantres, Bible Ms 0262 t. IV, XIIIe siècle, BM du Mans
À l’étude des premières images de chantres, Isabelle Marchesin a également mis en valeur un véritable changement de paradigme grâce à la façon dont sont représentés ces chantres. Dans le manuscrit italien de la fin du XIIe siècle, le chantre est debout, la bouche grande ouverte et il tient un bâton cantoral. Dans un manuscrit légèrement postérieur, produit à Paris au début du XIIIe siècle, le chantre est devant un lutrin sur lequel est posé un livre et la bouche n’est qu’entre-ouverte. L’hypothèse formulée est alors que le premier exemple est une image du chantre en tant que personnage ou même archétype, alors que le second est la représentation de la musique elle-même : musique savante dont la complexité est mise en valeur par le livre. Le développement de l’iconographie des chantres à lutrin dans le milieu parisien s’inscrit dans la logique de ce premier grand changement de paradigme : il s’agit alors de figurer une musique savante dont la qualité scientifique ne réside plus dans les rapports mathématiques (comme c’était le cas dans le milieu monastique) mais dans la complexité de la pratique du chant lui-même. Ce changement de point de vue viendrait de ce que les enlumineurs de ces images étaient majoritairement des laïcs appartenant à des ateliers urbains, et non plus des moines. Ainsi, l’image du chantre, d’abord élaborée par des clercs et surtout par des moines pratiquant eux-mêmes le chant, fut ensuite reprise et réinterprétée par des laïques qui ont cherché à mettre en valeur la musique dans son aspect de pratique savante, le contexte de l’émergence de l’organum à Paris, notamment celui de l’école de Notre-Dame, particulièrement complexe et riche.

• Ouverture de la recherche :
Des pistes de recherches ont été ouvertes grâce à la discussion dans laquelle sont intervenus Katarina Livjljanic - spécialement invitée pour son travail musicologique lié à l’interprétation de la musique médiévale (ensemble Dialogos) - , Isabelle Ragnard et Frédéric Billiet ; certaines idées à creuser ont ainsi été évoquées, notamment :

- la représentation des vêtements liturgiques et leur incidence sur la musique produite par les chantres (hiérarchie, polyphonie ?).
- la question de la représentation de la monodie et de la polyphonie dans les images de chantres (gestes spécifiques, positions des corps ?).
- l’usage et les fonctions signifiantes du rotulus.
- la question de la représentation en image de l’espace sonore dans lequel sont inscrits les chantres (utilisation du fond or, relation au cadre et à la lettrine, etc.).
- l’extériorisation de la musique avec la prise en compte des points de vue des chanteurs d’aujourd’hui sur les différents gestes. 
Welleda Muller

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