samedi 11 février 2012

Comte rendu du séminaire du 26 octobre 2011


Présentation de la base APEMUTAM
 Lionel Dieu et Christian Brassy

L’Association Pour l’Étude de la MUsique et des Techniques dans l’Art Médiéval présidée par Lionel Dieu, réunit des luthiers, des archéologues, des iconographes, des musicologues et des musiciens. L’une des activités de cette association est l’organisation de Rencontres de lutherie et de musiques médiévales de Largentière coordonnées par Christian Brassy, qui permet aux spécialistes de parler de sujets précis touchant à la reconstitution d’instruments de musique médiévaux grâce au support des images médiévales. L’APEMUTAM regroupe plusieurs bases de données d’images de musiciens dans l’art médiéval : celle de Lionel Dieu sur l’art roman, celle d’après le site de Jean-Luc Matte sur les cornemuses, une base encore incomplète sur la Normandie qui a permis de travailler sur les guiternes, et plusieurs centaines de photos concernant tous les supports, du XIIe au XVIe siècle prises par les membres de l’association. Plus de détails sur le site internet de l’association : www.apemutam.org

• Résumé de l’intervention de Lionel Dieu et Christian Brassy :
La philosophie de l’APEMUTAM est de faire confiance à l’iconographie médiévale, de repérer à l’intérieur de celle-ci tous les éléments permettant de mieux connaître les instruments médiévaux et de les mettre en relation avec les vestiges archéologiques qui ont été retrouvés, dans le but de reconstituer les instruments. Bien évidemment la question de la fiabilité des images s’est posée, et globalement, les membres de l’APEMUTAM ont constaté un assez bon réalisme des instruments de musique figurés. De plus, les tracés géométriques de ces instruments ont été mis en évidence : le point de départ de ces images était en effet la géométrie (cercle, triangles, carré, etc...). Et cette réflexion sur la géométrie des instruments a été amenée par une expérience de reconstitution d’un cordophone représenté à Saint-Jacques de Compostelle. Christian Brassy précise que dans ces reconstitutions d’instrument, le rôle des interprètes est prédominant ; une vièle sans touche représentée à Saint-Donat-sur- l’Herbasse a été reconstituée en 2010 et grâce à l’expérience de musiciens, ils ont pu confirmer que l’instrument était jouable, ce qui n’était pas évident de prime abord. L’APEMUTAM insiste d’ailleurs sur l’importance et la nécessité de l’expérimentation dans la reconstitution des instruments d’après des images médiévales. Il a par exemple été remarqué qu’un cordophone sonnait beaucoup mieux avec des cordes en boyaux artisanales qu’avec celles manufacturées en série.
Dans le travail de la reconstitution d’instruments de musique médiévaux d’après les images du Moyen Âge, Lionel Dieu a senti l’importance d’établir une base de données permettant une vue d’ensemble de nombreuses représentations d’instruments de musique, ainsi que le classement de données organologiques précises. S’intéressant à l’art roman, il a prospecté pendant une quinzaine d’années pour réunir des clichés de musiciens sculptés et peints dans un maximum d’églises romanes (jusqu’en 1200), qu’il a ensuite classés dans une base file maker. Au fil du temps, Lionel Dieu a ainsi construit plusieurs tables qui peuvent être interrogées ensemble ou séparément ; les listes peuvent alors fusionner.
Globalement, la base de Lionel Dieu est constituée en deux structures : le fichier général nommé « inventaire » avec les photos et les informations générales sur les sculptures (lieu, date, supports, etc...), intégrant également une réflexion personnelle sur les relations entre les musiciens et l’Église ; il a alors ajouté un champ « type de scènes » et un autre « sujet ». À ce classement de base, s’ajoute ensuite une table centrée sur les instruments et de fait sur l’organologie, mettant en évidence des détails organologiques qui peuvent être utiles lors de la reconstitution. Pour les vièles sur lesquelles Lionel Dieu a longtemps travaillé, sont ainsi renseignés divers champs concernant la forme générale, à la forme du cheviller, des ouïes, du sillet, du cordier et du chevalet (en distinguant forme et mode de fixation), du nombre de cordes, etc...
Pour plus d’efficacité dans la future indexation de Musiconis, Lionel Dieu, fort de son expérience sur sa propre base, conseille la systématisation des menus déroulants et la multiplication des champs d’indexation afin de ne pas être limité dans les recherches futures et d’éviter les différences d’orthographe. Il propose d’intégrer dans l’indexation les éléments à partir du moment où ils sont récurrents. Il ajoute qu’un champ « libre » doit être proposé pour tout ce qui concerne l’interprétation et les spécificités organologiques que l’on peut rencontrer. Isabelle Marchesin confirme en précisant que les cas de « mauvais usage » volontaire des instruments de musique (dans le cadre du charivari notamment) pourraient ainsi être renseignés dans ce champ particulier. Frédéric Billiet signale que la base Musicastallis comporte de nombreux menus déroulants et des champs libres et que ces fonctionnalités sont efficaces.
Le travail de classement mené par les membres de l’APEMUTAM a notamment permis de mettre en évidence certaines spécificités locales. Christian Brassy a ainsi mis en lumière les spécificités d’une guiterne « normande », qui a alors été reconstituée en compilant les caractéristiques organologiques et physionomiques des guiternes représentées dans les vitraux des édifices de Normandie datant du XIVe siècle (parmi ces caractéristiques on trouve la physionomie piriforme, la tête en faucille ornée d'une tête d'animal sculptée, etc.). Ce travail de « collection » les détails a ainsi facilité la reconstitution d’instruments. En outre, ce travail est également utile pour distinguer les restaurations du XIXe siècle, parfois difficilement identifiables. L’anachronisme de certains instruments de musique sur des sculptures romanes (tel le rebec qui n’apparaît pas avant le XIVe siècle et la cornemuse dont l’apparition date de la fin du XIIIe siècle) et qui sont représentés sur des sculptures censées dater du XIIe siècle) a par exemple été relevé, mettant en lumière une restauration du XIXe ou du XXe siècle (néanmoins, Lionel Dieu a remarqué que si le style de l'architecture était parfois un peu tardif les instruments de musique étaient quant à eux toujours "d'actualité"). Et ce travail est particulièrement intéressant dans le cas des vitraux, dont les restaurations sont très fréquentes et « compilent » parfois des éléments médiévaux avec des éléments créés aux XIXe et XXe siècles ; dans ce cas les détails organologiques permettent parfois d’identifier les morceaux authentiques et les pièces restaurées (par exemple sur les vitraux de la cathédrale d’Évreux).
À la question posée lors du premier séminaire : les artistes étaient-ils aussi musiciens ou luthiers ? Lionel Dieu propose de répondre qu’à l’époque romane, dans les exemples qu’il a compilés, les artistes semblent avoir représentés les instruments d’après ce qu’ils avaient vus ; ce qui expliquerait les déformations de certains psaltérions (vu une fois quelque part et dont est restée une forme générale dans l’esprit du sculpteur ou du peintre). Il cite aussi la présence de sonnailles liturgiques anormalement représentées au cou de béliers. Isabelle Marchesin souligne cependant l’idée que cette juxtaposition était peut-être volontaire ; la signification liturgique est en effet à prendre en compte et on peut remarquer que le réalisme littéral n’est pas une préoccupation majeure des artistes médiévaux qui cherchaient plutôt à suggérer une idée derrière ces images de musiciens.
Enfin, grâce aux Rencontres de lutherie et de musiques médiévales de Largentière, les instruments inconnus trouvés dans les images médiévales, font l’objet d’une réflexion de divers spécialistes confrontant leurs expériences. Les chercheurs ont par exemple soulevé l’importance de ramener la musique à une pratique et de distinguer les qualités instrumentales par rapport au contexte dans lequel elles s’expriment.

• Ouverture de la recherche :

Des réflexions ont été proposées grâce à l’intervention de deux membres de l’IRPMF (Institut de recherche sur le patrimoine musical en France) : Nicole Lallement et Florence Getreau. 

- Problématique du nom « générique » de l’instrument et des différentes dénominations vernaculaires de l’époque. Frédéric Billiet propose d’adopter le terme « dénomination » qui correspondra à un terme actuel le plus précis possible et d’ajouter lorsqu’on le peut les divers termes locaux, latins ou vernaculaires que l’on trouvera dans la littérature médiévale. 

- Importance de la création d’un forum pour Musiconis, dans lequel on pourra interroger les divers spécialistes sur des questions organologiques précises. Christian Brassy propose de l’héberger sur celui du portail des musiques médiévales (www.musiques-medievales.eu) qui fonctionne déjà bien et qui regroupe de nombreux spécialistes. 

- Florence Getreau insiste sur la nécessité de prise en compte de l’historiographie de l’indexation musicale. Il faut consulter les catalogues déjà effectuer pour faire une synthèse des critères organologiques à renseigner dans Musiconis. Une nomenclature et un découpage précis des descripteurs a déjà été élaborés par l’IRMPF, ce qui pourrait servir de modèle (la base Euterpe fonctionne avec un thesaurus par exemple). La terminologie pourrait contenir environ une dizaine (ou une quinzaine selon les instruments) de critères organologiques. Florence Getreau propose de fournir une bibliographie et Frédéric Billiet assurera la synthèse des listes des descripteurs (APEMUTAM, IRPMF, Musicastallis). 
- La question de la visibilité de ces tables complexes est soulevée. Isabelle Marchesin précise qu’à terme, lorsque la méta-base sera accessible sur internet à tous, la visibilité sera hiérarchisée; des recherches spécifiques pourront être effectuées (notamment par les historiens de l’art qui ne sont peut-être pas intéressés par des points organologiques très précis). Il convient de distinguer la saisie et ce qui sera visible à terme. 
- Isabelle Marchesin insiste sur le fait que les analyses organologiques sont un aspect indispensable de l’enquête sur le son et un apport non moins important de la méta-base Musiconis, mais ils seront nécessairement hiérarchisés pour satisfaire les attentes différentes selon les utilisateurs. Le but de Musiconis est également de nous interroger sur ce qui fait sens dans l’image musicale médiévale.
 - La problématique de la bibliographie est posée. Isabelle Marchesin répond qu’un champ bibliographique est prévu, mais qu’il sera absolument centré sur l’image indexée et non pas sur des généralités. 
- Suite à l’importance des tracés géométriques dans les images de musiciens soulevée par Christian Brassy, Isabelle Marchesin s’interroge sur l’importance des proportions dans ces images, ainsi que sur la possibilité d’identifier les composantes géométriques. Christian Brassy répond que les formes géométriques sont parfois facilement remarquables (notamment dans les vièles et les guiternes), mais qu’elles peuvent être beaucoup plus ardues à mettre en évidence (notamment en ce qui concerne les harpes).
Welleda Muller

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