Compte rendu du colloque "Danse & Musique, l'art de la rencontre"
16-18 avril 2013, CNSMD de Lyon
Pour la seconde
fois depuis 2011 le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de
Lyon organise un colloque international, réunissant les plus éminents
spécialistes de la musique et de la danse dans le but de travailler sur les
relations entre la musique et la danse à travers l’étude de différents contextes
et supports : l’opéra ballet, le cinéma, les partitions musicales et
chorégraphiques, les images, à différentes époques du Moyen Âge à nos
jours. Dans un but de rencontres d’arts pratiqués, expérimentés et théorisés,
les organisateurs ont renouvelé le genre du colloque en rythmant les
interventions d’universitaires avec des performances musicales et dansées réalisées
par les élèves du CNSMD ; proposant ainsi une pondération artistique, un
contrepoint aux réflexions scientifiques.
Ouvrant
la première session, Muriel Joubert (Université Lumière Lyon 2) aborde les
rapports du compositeur Claude Debussy et du chorégraphe Vaslav Nijinski en
s’interrogeant sur l’aspect fusionnel ou discordant de leur rencontre. Sabine
Vergnaud (Université de Picardie Jules Verne) expose la situation
contradictoire de la musique dans les ballets suédois de 1920 à 1925 en
particulier dans l’œuvre de Jean Börlin avec le groupe des six et leurs amis
écrivains et peintres. Gilles Mouëllic (Université Rennes 2) présente ensuite les
séquences de danse improvisée dans Permanent
Vacation de Jim Jarmusch (1980) et dans US
Go Home de Claire Denis (1994). Anne de Fornel (HEC Paris) clôt la session
en parlant de l’esthétique commune de John Cage et de Merce Cunningham dans une
même voie de libération des sons et des mouvements. La seconde session est
ouverte par Jean Philippe Guye (CNSMD de Lyon) qui aborde l’expérience de
« dire l’image », ce que l’image « fait retentir » dans la
série de clichés du dernier récital du pianiste Dinu Lipatti à Besançon en
1950. Charlotte Gino-Slacik (CNSMD de Lyon et Université de Rouen) clôt la
journée en comparant les œuvres de Luigi Nono et d’Andreï Tarkovsky, décelant
une même importance du sacrifice, du silence et de la corporéité du son dans leurs
réalisations.
Le
lendemain, la troisième session est ouverte par Dora Kiss (Université de Genève
et de Nice-Sophia Antipolis) sur la triple question du mètre, du mouvement et
de la musicalité de la belle danse autour de 1700 et les notions
d’interprétation de l’œuvre musicale par une gestuelle spécifique au-delà de la
simple narration. Poursuivant la chronologie, Hubert Hazebroucq (Université de
Reims) aborde la « cadence fine et savante » à la lumière de pièces
du répertoire théâtral aux alentours de 1746, date de l’ouvrage anonyme L’art de la danse présentant les différents
types de cadences dansées (et renvoyant certainement à des pratiques antérieures). Alban Ramaut (Université Jean Monnet de
Saint-Étienne) s’est intéressé aux articles relatifs à la danse dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
qui sont finalement peu nombreux (danse, geste, grâce) et montre que la notion
a été plus ou moins absorbée par la musique. Giuseppe Montemagno (Université de
Catane, Italie et Université Paris-Sorbonne) présente l’ultime hommage de
Frederick Ashton à Margot Fonteyn et Rudolf Noureev à travers le ballet Marguerite & Armand, dernière création
du chorégraphe en 1963 sur une musique de Franz Liszt (Sonate pour piano en si
mineur, S. 178) d’après La Dame aux
Camélias.
Ms. fr. 24392, folio 8, (c) BnF |
La
quatrième session est ouverte par Welleda Muller (ANR Musiconis, Université
Paris-Sorbonne) sur l’évolution des relations entre la musique et la danse dans
les images entre la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance, et
l’apparition d’une hiérarchie nouvelle dans laquelle la musique se met au
service de la danse des nobles. Stéphane Sawas (INALCO) poursuit en parlant des
chorégraphes contemporains s’emparant de l’opéra avec les deux exemples d’Orphée et Eurydice de Pina Bausch et Didon et Enée de Sasha Waltz ;
montrant que les mouvements dansés sont au cœur de l’action, bouleversant les
rapports hiérarchiques entre musique et danse chez ces deux chorégraphes chacun
à leur façon. Pablo Palacio (UAH-Madrid) aborde les inter-relations entre
algorithme et esthétique dans sa pièce dansée Stocos, réalisée en partenariat avec Daniel Bisig (Université de
Zurich) ; ce projet permet de faire le lien entre les mouvements, la
production de sons et d’images sur un écran, grâce à un algorithme. Sarah di
Bella (Université Paris Ouest-Nanterre) parle ensuite du corps dansant/corps
sonore chez Anne-Teresa de Keersmaeker, qui serait un exemple de danse
« cosmique » dans le paysage chorégraphique contemporain. Anthony
Desvaux (Université Paris 8) s’intéresse quant à lui au Marteau sans maître de Maurice Béjart et à son appréhension de la
musique sérielle de Pierre Boulez dans la première moitié du XXe
siècle, dans laquelle le chorégraphe insuffle du lyrisme et un nouveau langage
physique. Lorenda Ramou (Université Paris-Sorbonne et CNSMD de Lyon) aborde la
musique de ballet de Nikos Skalkottas écrite entre 1938 et 1949 et le fait que
ce corpus soit représentatif des enjeux esthétiques en Grèce au début du XXe
siècle. Laura Cappelle (Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle) clôt la deuxième
journée en parlant des ressorts sociologiques de l’articulation de la danse et
de la musique au cours du processus de création de La Source à l’Opéra de Paris en 2011.
La
dernière journée est ouverte par Françoise Dartois-Lapeyre (Université
Paris-Sorbonne) sur le maître de ballet Noverre et son rapport à la musique au
XVIIIe siècle, notamment son positionnement à l’avant-garde dans la
mutation des styles chorégraphiques et l’invention du ballet d’action ou ballet
pantomime, marquant la nouvelle autonomie de la danse. Séverine Féron
(Université de Bourgogne) poursuit en parlant des adaptations françaises du Don Giovanni de Mozart en 1805 et 1834
dans lesquels l’œuvre musicale originale a été fortement remaniée, notamment
pour interpoler des ballets. Frank Langlois (Université de Rouen) expose
ensuite la création du ballet L’homme et
son Désir entre 1917 et 1918 par Paul Claudel, Darius Milhaud et Geneviève
Parr, œuvre formant un creuset anthropologique et faisant preuve d’un certain
nombre d’innovations tant musicales que chorégraphiques et scénographiques.
Ouvrant
une session sur le cinéma, Simon Daniellou (Université Rennes 2) présente les
représentations du kabuki (pièces dansées) dans les films muets puis les
premiers films sonores japonais dans les années 1930. Charlotte Riom
(Université Paris-Sorbonne) parle ensuite des films de Tony Gatlif et en
particulier de l’« utilisation » du Flamenco en tant que métaphore
des rapports entre gadjos et gitans. Gaëlle Lombard aborde quant à elle la
danse improvisée dans des films non musicaux en prenant pour exemple Mother (réalisé par Bon Joon-ho en 2009)
et Bad Lieutenant (réalisé par Abel
Ferrara en 1992), arguant que ces moments ont une valeur transgressive.
Co-organisateur du colloque, Emmanuel Ducreux (CNSMD de Lyon) expose l’écriture
du geste et du mouvement dans les œuvres de Karlheinz Stockausen dans les
années 1970 et 1980 ; malgré une certaine liberté laissée aux interprètes,
ce compositeur a réalisé des partitions incluant une notation des gestes,
montrant une synchronicité extrême entre danse et musique. Philippe Roger
(Université Lumière Lyon 2) clôt ce beau colloque en parlant du cinéma musical
de Max Ophuls et de ses particularités chorégraphiques témoignant non seulement
de la traduction d’une physique, mais visant une métaphysique.
Les articles seront prochainement mis en
ligne sur le site du CNSMD : http://www.cnsmd-lyon.fr/
Welleda Muller
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