Compte rendu du colloque "Le costume de scène, objet de recherche"
20-22 mars 2013, CNCS de Moulins
CNCS, Moulins |
Le Centre
National du Costume de Scène à Moulins a été créé en 2006 pour accueillir les
costumes de l’Opéra Garnier, de la Comédie Française et de la BnF, avant de
conserver les dons des costumes dessinés par Christian Lacroix et la collection
du danseur Rudolf Noureev (http://www.cncs.fr/). Le CNCS a organisé un premier colloque sur "Le
costume de scène, objet de recherche", rassemblant les principaux
spécialistes du costume à travers les siècles, ainsi que de très nombreux
auditeurs.
Christian Biet (Université Paris Ouest Nanterre) introduit le colloque en présentant les problématiques inhérentes
aux recherches sur le costume : une typologie et une logique du costume de
scène sont-elles possibles ? Est-il possible de restituer l’objet costume
et de connaître son efficacité dans l’action ? Quelles sont les rapports
entre le corps du comédien et ses diverses enveloppes ?
Delphine
Pinasa (directrice du CNCS) ouvre la première session sur les outils de la
recherche en présentant les difficultés comme la nécessité de considérer le
costume de scène comme un "objet". La matérialité des costumes pose
en effet une série de problèmes de conservation et de présentation muséale
puisque le costume ne se conçoit que dans le cadre d’une performance ; que faire
alors lorsqu’il en est déconnecté ? Camille Broucke (CNCS) présente une
série de réponses mises en place au CNCS : préserver (les costumes sont
souvent fragiles par leur ancienneté et par l’emploi de matériaux qui se
dégradent, la restauration est très limitée pour le moment), enrichir (un tri
est nécessaire et il s’opère en fonction des qualités esthétiques du costume et
de l’importance de la production, du comédien et éventuellement du créateur),
étudier, valoriser (deux expositions par an, problématique de la mise en scène
des costumes). Nicole Pellegrin (Musea) parle ensuite de "la nonne en ses
costumes de théâtre" du XVIIIe au XXe siècle et de
la mise en scène transgressive des religieuses dans le théâtre révolutionnaire.
Noëlle Giret (Bibliothèque-Musée de la Cinémathèque Française) et Martine
Kahane (Arts Florissants) introduisent l’exposition « Costumer le
pouvoir » qui comporte des costumes de théâtre et de l’opéra d’une part et
du cinéma de l’autre.
Costumes du film Vatel, exposition "Costumer le pouvoir" |
Poursuivant la session le lendemain, Sandrine Dubouilh
(Université Michel de Montaigne, Bordeaux) reprend la problématique du costume
de scène en tant qu’objet de recherches scénographiques et du paradoxe d’un
objet de scène devenu objet du patrimoine en proposant d’intégrer la vocation
scénique ainsi que la matérialité des costumes dans les expositions. Jacqueline
Razgonnikoff (Comédie Française) relate ensuite son expérience de
bibliothécaire-archiviste à la Comédie Française ; dans son travail sur des
documents comptables remontant au XVIIe siècle, elle montre
l’importance du costume dans la construction d’un rôle et les dépenses parfois
somptuaires qui sont consacrées à sa fabrication et à son entretien.
Didier
Doumergue (Université de Lorraine) ouvre la seconde session sur anthropologie
et ethnologie en abordant le thème de la pensée d’Aby Warburg pour la recherche
sur le costume de scène. Virginie Johan (Institut d’Études Théâtrale de Paris
III) parle ensuite des "pièces-outils" du costume faisant signe, en
prenant pour exemple le jeu de l’écharpe et des pans de la jupe dans le
Kutiyattam du Kerala. Mariem Guellouz (CANTHEL-Université Paris Descartes)
aborde la question du voile au Maghreb, de la vie quotidienne à la scène
artistique, montrant les ruptures et continuité du maniement de ce tissu qui
peut prendre différentes formes. Enfin, Virgina Preston (University of
Stanford, ENS) présente les costumes des estropiés dans les ballets du XVIIe
siècle, en particulier le dispositif des prothèses et des faux moignons pour
des acteurs valides.
Parallèlement,
une session sur l’Ancien Régime et la Réforme commence par l’intervention de
Philippe Cornuaille (Université Paris-Sorbonne) sur la découverte de gravures
des costumes extravagants de la Bradamante
ridicule (comédie perdue, commandée à la troupe de Molière par Louis XIV en
1664) sur des écrans de feu. Anne Verdier (Université de Lorraine) poursuit en
abordant "l’affaire des paniers" et l’adoption d’une robe à paniers
sur scène par Adrienne Lecouvreur en 1725, puis son rejet par Marie Sallé en
1734 et surtout par Melle Clairon en 1745 ; montrant que cette mode est
venue de la scène et y a disparu. Damien Chardonney-Dairmaillacq (Registrer
Project) aborde la tentative de rationalisation du costume et de sa place dans
la mise en scène par le comédien Henri-Louis LeKain dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle dans un registre particulièrement détaillé. Sarah Di
Bella (Université de Nanterre) conclu cette session en posant la question de la
pudeur et des liens entre le costume et la discipline dans le discours
réformateur aux XVIe et XVIIe siècles.
Moresque, ms. fr. 51, f. 171, (c) BnF |
La
troisième session est consacrée aux relations entre le costume et l’histoire.
Le grand metteur en scène Jean-Marie Villégier raconte sa longue collaboration
avec le costumier Patrice Cauchetier et les multiples fonctions qu’on pu
remplir les costumes créés dans les différentes mises en scène de théâtre de répertoire. Welleda Muller
(Université Paris-Sorbonne, ANR
Musiconis) présente ensuite le costume des jongleurs puis des musiciens
professionnels entre la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance en
mettant en évidence l’idée qu’il s’agissait de "signes visuels" de
la performance. Poursuivant la chronologie, Joël Huthwolh (BnF) montre
l’évolution du costume d’Arlequin en France entre le XVIIe et le
XVIIIe siècle.
Arlequin |
La
quatrième session est intitulée "costume et politique" et est
ouverte par Gaylord Brouhot (Université Panthéon-Sorbonne), qui présente le
vêtir de Cosimo I de’ Medici comme métaphore identitaire du corps princier du duc
de Florence et de Sienne. Marie-Noëlle Semet (Université Panthéon-Sorbonne) aborde
le sujet de la crise grecque actuelle et du costume comme moyen d’expression
politique dans ce contexte difficile où le rire et le carnaval sont salutaires.
Vincent Dorothée (Université Panthéon-Sorbonne, GRANIT) poursuit avec l’exemple
du Ballet des Fées des Forests de Saint-Germain de 1625 dans lequel il
met en évidence le "double jeu" du costume. Martial Poirson
(Université de Grenoble 3) aborde le costume en tant qu’effigie dans le
spectacle allégorique à l’âge classique et son évolution au XVIIIe
siècle.
Georges
Vigarello (EHESS) inaugure la cinquième session consacrée au corps, en montrant
quelques changements décisifs du vêtement au XIXe siècle et en
particulier les évolutions de la robe qui va de pair avec celles de la
perception du corps féminin. Sylvie Roques (Centre Edgard Morin) présente les
résultats d’une enquête effectuée auprès d’acteurs contemporains interrogés sur
leur vision du costume de scène, entre peau et seconde peau.
La
sixième et dernière session est consacrée au costume et à la modernité. Paola
Bignami (Université de Bologne) évoque la façon dont sont gérés les stocks de vêtements des acteurs de cinéma et de théâtre en Italie et ce que les costumes apportent à la construction des rôles des acteurs contemporains. Lucile Lambert
(Paris-Sorbonne) parle ensuite du rôle social manifesté par le costume et de la problématique de son investiture. Laura Capelle (Université Sorbonne Nouvelle) aborde la
question du genre dans l'étude des costumes créés par Christian Lacroix pour la recréation en
2011 du ballet La Source. Sylvie
Perault (CERPCOS) remarque lors de la décentralisation théâtrale l’engagement
d’artistes peintres pour la scénographie et les costumes, et de fait,
l’incarnation d’un idéal politique en action. Frédérique Debril (Maison Jean
Vilar, Avignon) poursuit le propos en parlant des rapports entre Jean Vilar et
les peintres en présentant l’exemple des maquettes conservées à la maison Jean
Vilar. Gwenaëlle Moine (Université Paris-Ouest de Nanterre) clos la session en
questionnant la mise en scène et les costumes dans le théâtre de répertoire à
l’époque contemporaine.
Le
colloque sur le costume de scène est conclu par la communication de Guy
Spielmann (Georgetown University) intitulée : "Penser le costume
dans l’événement-spectacle", dans laquelle il explique que le costume
résulte d’une semiosis qui n’est
activée que dans un cadre spatio-temporel précis ; de ce fait, la nudité peut avoir
la fonction de costume, de même que les vêtements de ville étant donné leur
valeur symbolique dans l’événement-spectacle.
Welleda Muller
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