samedi 22 novembre 2014

Compte rendu du séminaire du 14 mai 2014

Recherches récentes en archéo-lutherie : psaltérion, monocorde et vièle en huit. Usages, contextes et techniques de jeu
Domitille Vigneron et Olivier Féraud


Domitille Vigneron (viéliste et chanteuse, luthière au sein de Flor Enversa) et Olivier Féraud (luthier, musicien et chercheur) sont membres de l'ensemble Flor Enversa (ensemble spécialisé dans les troubadours des XIIe et XIIIe siècles) et de l'association Apemutam.

Lors du  séminaire du 14 mai 2014, deux musiciens de l'ensemble Flor Enversa ont présenté leur approche de l’interprétation de la musique médiévale qui se situe au carrefour de la pratique musicale, de la lutherie, de  l’archéologie et de l’iconographie. La démarche des musiciens-luthiers de Flor Enversa est à la fois empirique et intellectuelle dans toutes les étapes du travail qu’il soit scientifique, artisanal ou musical. Ces musiciens fabriquent eux-mêmes leurs instruments et pour la reconstitution des instruments anciens, ils utilisent des sources diverses comme l’archéologie musicale, les traités de musique et  l’iconographie, principalement les sculptures et les miniatures médiévales. Pour la pratique instrumentale et les modes de jeu, ils s’inspirent souvent des travaux des ethnomusicologues observant les musiques traditionnelles d’autres pays.

Dans la première partie du séminaire, Olivier Féraud a présenté son engagement dans le projet Instrumentarium de la Cathédrale de Chartres pour lequel il devait reconstituer un psaltérion et un monocorde d’après les  sculptures des portails de la Cathédrale. Le monocorde  sur le portail ouest est une des plus anciennes sculptures de l’instrument et elle date du XIIe siècle. Le psaltérion a été reconstitué à partir de sa représentation sur une colonne du portail sud sculpté au XIIIe siècle. Ces deux instruments sont actuellement  conservés au musée des Beaux-arts de Chartres.



Après avoir abordé la problématique de la filiation de ces deux instruments et quelques autres témoignages de leurs représentations, Olivier Féraud a proposé une lecture iconographique de la sculpture qui se situe dans le portail royal de la Cathédrale. Le luthier  distingue deux plans : d’une part, le carillon suspendu et le monocorde posé en arrière-plan représentant la musique spéculative (musica theorica) ; d’autre part la vièle et le psaltérion au premier plan représentant la musique pratique (musica pratica).





Olivier Féraud a ensuite montré quelques photos et schémas des étapes de la fabrication du monocorde. Le fait que l’instrument soit encastré dans le mur rendait difficile le calcul des dimensions et il a  d’abord  fallu les calculer en prenant en compte le rapport entre la taille de la sculpture et la taille réelle (1/3 : proportion moyenne sur le portail royal) et les proportions respectives entre les instruments et le buste du personnage musicien sur la sculpture. Les mesures manquantes (la largeur notamment) sont calculées symétriquement d’après les parties saillantes de la sculpture. A partir des dimensions établies, le luthier obtient le tracé de l’instrument qui sert à fabriquer un patron en carton. Ensuite arrive l’étape de la fabrication proprement dite : creuser et sculpter le bois pour donner forme à l’instrument.

Avec une corde unique, quel pouvait être le rôle du monocorde en tant qu’instrument de musique? Sur la sculpture, le chevalet est placé au milieu de l'instrument et divise alors la corde en deux octaves. Olivier Féraud a relevé quelques citations historiques pour illustrer des emplois pédagogiques potentiels. Le monocorde pouvait servir de professeur « muet » pour l’apprentissage et la lecture des chants, comme un guide-chant plus efficace que la voix pour donner la note que l’on cherche ou tout simplement comme un instrument de théorie musicale par excellence. La corde est pincée à l’aide d’un plectre, terme dont l’étymologie pourrait souligner, selon Isabelle Marchesin, le lien  entre la  musique et l’écriture.

Le deuxième instrument présenté par Olivier Féraud est le psaltérion représenté à Chartres dans la série  des  vieillards de l’Apocalypse au portail sud de la Cathédrale. L’instrument  reconstitué est taillé dans une seule pièce de bois de cerisier. La longueur des cordes et l’accordage ont posé des problèmes nécessitant de recourir au calcul des divisions du monocorde et Olivier Féraud a fait allusion à une proportion « dorée » qui aurait pu intervenir dans la proportion du tracé global du psaltérion.

Dans la deuxième partie du séminaire,  Domitille Vigneron a présenté des vièles en huit et autres vièles sans touche reconstituées par l’ensemble Flor Enversa (co-réalisations Domitille Vigneron-Thierry Cornillon-Olivier Feraud). Selon elle, la démarche de Flor Enversa est différente de celle d'un luthier traditionnel qui va rechercher un certain son : Flor Enversa reconstitue des instruments et les utilise avec leur son unique. Il faut éviter les idées reçues, rester ouvert, expérimenter, découvrir et jouer… 

Elle met en perspective différentes vièles sans touche, et montre des exemples sur chacune. Tout d'abord une vièle en huit, instrument  sans touche et généralement  joué « da gamba ». Pour la technique et la façon de jouer (« da gamba ») Domitille Vigneron s’inspire des modes de jeu des instrumentistes des musiques traditionnelles du monde. Elle applique deux techniques de pression sur la corde : le « crochetage » ou la technique « glissée » inspirée des musiciens du Rajasthan. Elle peut aussi utiliser le pouce.
Il est intéressant de noter que la très grande taille de l'archet observée avec ces vièles en huit est très utile dans le jeu. Ces vièles peuvent s'accorder selon différents registres, graves ou aigus, ce qui change leur couleur. Les contextes de jeu observés sont variés.

 Elle a ensuite présenté deux autres types de vièles à archet sans touche:
- une vièle piriforme  (d'après un coffret de mariage de Vannes du XIIe siècle) jouée à bras, à 3 cordes. Dans la position de jeu à bras, seul le jeu crocheté fonctionne, les cordes étant hautes au dessus de la touche. Il en résulte un timbre différent du jeu appuyé, plus suave et doux.
- un rebec (reconstitution d'après une sculpture sur XIVe siècle du château de Puivert) : pour celui -ci, le choix a été fait de lui donner une très légère courbe qui rend possible le jeu appuyé comme s'il y avait une touche.
Il est intéressant de voir que ces instruments sans touche sont très fréquents dans l'iconographie médiévale, et que cette absence de touche n'est pas forcément un oubli. Il peut en résulter des sonorités et modes de jeu différents qui viennent enrichir la palette sonore habituelle des instruments avec touche.

Toutes ces études, à la fois pratiques et théoriques, sont fondées sur des témoins visuels. Cette démarche interdisciplinaire donne aux musiciens de Flor Enversa de nouvelles possibilités très intéressantes dans l’interprétation de la musique médiévale.

Hanna Varkki & Anna Zakova
étudiantes en master 2 de musicologie


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