mardi 8 mars 2016

A Discussion of Resounding Images: Medieval Intersections of Art, Music and Sound

THE GLOBAL FOCUS SERIES
A Discussion of Resounding Images:
Medieval Intersections of Art, Music and Sound
Resounding Images
Lundi 14 mars 2016
18h30
Reid Hall
4 rue de Chevreuse 75006
Grande Salle
La discussion sera suivie d'un verre d'amitié
Gratuit et ouvert au public
En partenariat avec le département de musique de Columbia University et du Columbia Undergraduate Program in Paris, nous avons le plaisir de vous proposer "A Discussion of Resounding Images," troisième volet de la nouvelle série "Global Focus.”
Prenant comme point de départ le tout récent livre, Resounding Images (sous la direction de Susan Boynton et Diane J. Reilly), des historiens de l'art et de la musique discuteront des représentations du son, de l'espace, et de l'image du Moyen Âge.  Des essais sur l'art et la musique musulmans, chrétiens etjudaïques ont en effet tracé les intersections complexes entre l'art, l'architecture et les sons du monde médiéval.  Des études de cas ont également exploré comment des sons ambiants et programmatiques, y compris la parole et le chant, et leur opposé, le silence, interagissent avec les objets et le cadre du quotidien pour créer des expériences multisensorielles caractéristiques de la vie médiévale. (La discussion sera en anglais.)  
Participants : Sebastien Biay (Sorbonne), Susan Boynton (CU), Lindsay Cook (CU), Walter Frisch (CU), Isabelle Marchesin (INHA), Laura Weigert (INHA/Rutgers) 
 
Monday, March 14, 2016
6:30 pm
Reid Hall
4 rue de Chevreuse 75006
Grande Salle
A cocktail reception will follow
Free and open to the public
 
This evening is the third in the Global Focus Series, which highlights the expertise and areas of interest of Columbia professors. 
Historians of art and music will address the study of sound, space, and image in the Middle Ages. The point of departure is the recently published volume Resounding Images (ed. Susan Boynton and Diane J. Reilly), in which essays on Christian, Islamic and Jewish art and music reconstruct the complex intersections of art, architecture and sound in the medieval world. Case studies explore how ambient and programmatic sound, including chant and speech, and its opposite, silence, interacted with objects and the built environment to create the multisensory experiences that characterized medieval life. (The discussion will be in English.)
Participants: Sebastien Biay (Sorbonne), Susan Boynton (CU), Lindsay Cook (CU), Walter Frisch (CU), Isabelle Marchesin (INHA), Laura Weigert (INHA/Rutgers) 

mercredi 2 mars 2016

Musique dans l'atelier du peintre

Compte-rendu du séminaire du 6 mai 2015



« Musique dans l'atelier du peintre »

Florence Gétreau




Le séminaire INHA-IreMus « L'iconographie musicale et l'art occidental » de l'année 2015 s'est clos avec l'intervention de Florence Gétreau. Actuellement directrice de recherche au CNRS et spécialiste en organologie et en iconographie musicale, Florence Gétreau a présenté le thème « Musique dans l'atelier du peintre » comme un phénomène majeur dès le XVIIe siècle (1) à travers un large panel de tableaux allant jusqu'au XIXe siècle. Cette contribution a également permis d'avoir en avant-première les thématiques et les analyses de tableaux qui figureront dans le prochain livre de Florence Gétreau (2).  Le présent compte-rendu tâchera de relever les idées fortes en les étayant par quelques exemples donnés pendant la communication, sans pour autant les retranscrire tous : nous laisserons au lecteur le plaisir de les découvrir dans l'ouvrage à paraître.

Tantôt haut-lieu d'émulation et de rencontres au sein d'un cercle d'artistes de divers horizons, tantôt miroir de l'intimité et révélateur de l'âme de l'artiste peintre, la représentation picturale de l'atelier du peintre devient ainsi un espace scénique marqué par une présence visible de la musique, que le peintre soit lui-même acteur de la musique ou qu'il choisisse la musique comme source d'inspiration. Le titre de « Musique dans l'atelier du peintre » appelle ainsi plusieurs interprétations allant de la musique en tant qu'art – représentée par un objet emblématique (instrument inerte ou joué) ou personnifiée par une allégorie – jusqu'à l'exécution et l'écoute au cœur de l'atelier – que ce soit par un musicien proche du cercle du peintre, ou encore parfois exécutée par le peintre lui-même. Ainsi, Florence Gétreau a articulé son exposé en sept cas de figure :

  • Le peintre entouré d'instruments de musique
  • Le peintre peignant une nature morte d'instruments
  • Le peintre peignant une scène de musique
  • Le peintre peignant une allégorie de la musique
  • Le peintre musicien dans son atelier
  • Le peintre peignant en musique
  • Le musicien parmi les habitués de l'atelier

Le peintre entouré d'instruments de musique
La première perspective choisie fait partie des représentations les plus éloquentes, particulièrement courantes au XVIIe siècle (3) grâce à la présence d'instruments dans l'atelier où le peintre travaille, ceux-ci pouvant se trouver placés d'une façon plus ou moins visible dans l'atelier.

            Un premier exemple frappant serait le tableau de Frans van Mieris l'aîné, Autoportrait du peintre dans son atelier, vers 1657-1659. Il met en scène plusieurs éléments courants de la vie du peintre, parmi lesquels ses ustensiles, une statuette en marbre de l'Hercule enchaîné luttant contre le serpent, mais surtout une viole qui tient une place pré-éminente dans le tableau. La symbolique qui se dégage de ces objets met en valeur le lien entre les arts et ses sciences, mais peut-être aussi celui entre les arts libéraux et leur théorie commune des proportions.
            Pour montrer la diversité, mais aussi la prégnance des représentations de cette situation au fil des siècles, Florence Gétreau cite comme deuxième exemple un dessin de Gabriel de Saint-Aubin intitulé La chambre de l'artiste et datant de 1780. Si la fonction de l'instrument à cordes situé en arrière-plan paraît atténuée par la modestie de la chambre-atelier, voire ambigüe par le désordre manifeste du lieu, ce dernier dessin de Saint-Aubin constitue à la fois un dernier témoin de la désespérance de l'homme face à la mort (en particulier par la présence du cadavre), mais aussi un véritable testament de l'artiste. Il s'agit d'un ultime rappel de sa pratique musicale, par ailleurs attestée dans l'inventaire de ses biens après décès, parmi lesquels figurent un clavecin, un petit orgue, deux basses à cordes, un petit cor et une vielle à roue.

Le peintre peignant une nature morte d'instrument
Si dans cette configuration d'objets inanimés, l'instrument n'est pas joué, il reste néanmoins le symbole de l'art musical. En contrepoint avec d'autres arts libéraux, le détail des qualités plastiques et matérielles de l'instrument vont démontrer la virtuosité de l'artiste.

            La nature morte peut reprendre le thème de la Vanité. Que ce soit chez Gerrit Dou, Peter Claesz ou encore chez Jan Miense Molenaer, la musique incarnée par l'instrument dans une nature morte symbolise alors plus particulièrement l'éphémère, renforçant le caractère fugitif des autres éléments de la vie symbolisés. L'activité humaine est mise en abyme soit directement, par un miroir sphérique chez Claesz, soit indirectement par tous les emblèmes qui composent la nature morte. Chez Cerrini, le motif de la nature morte est dédoublé dans tout l'atelier tandis que la prédominance de la musique par les instruments est renforcée par la présence d'une partition : il s'agit d'un motet à deux voix extrait du volume 2 de la Selva armoniosa, imprimé en 1632 à Naples. Mais ce qui semble plus original encore dans ce tableau en train de se faire, c'est peut-être le dépassement de la vanité par la transmission artistique, explicitée par la relation Maître-apprenti et par le motto « Ancora imparo ».

















Peter Claesz, Vanité au violon et à boule de verre, 1628.























Giovanni Domenico Cerrini, L'atelier du peintre, 1632-1639.




Le peintre peignant une scène de musique
À l'inverse du cas de la nature morte inerte, le peintre peut aussi se représenter dans le vif de l'action en peignant un musicien ou une scène musicale. Cette tendance se remarque plus particulièrement chez les peintres hollandais tels que Judith Leyster, Jan Miense Molenaer ou Joos van Craesbeeck.

Chez ce dernier, la scène répond à tous les canons de la peinture de genre nordique tout en présentant l'aspect démonstratif des modèles du peintre. En effet, ces personnages symbolisent les cinq sens : l'ouïe pour le musicien, la vue pour la femme lisant une lettre, le goût pour le buveur le toucher pour le couple en position resserrée et l'odorat pour le fumeur. À ces cinq sens de la vie s'oppose la vanité, immobile et moralisante, sur la droite, montrant ainsi que l'art de peindre une scène animée est bien l'argument principal de la scène. Ce topos pictural montre ainsi que la musique fait partie d'une éducation artistique complète, qu'elle est une occupation sociale largement pratiquée dans les cercles d'artistes et symbolise aussi l'harmonie des sentiments et des arts. L'exemple le plus explicite serait l'autoportrait de Pietro Fabris, un des précieux témoins du séjour de Léopold Mozart et de son fils Wolfgang chez William Hamilton. Cette scène, dans laquelle le jeune prodige joue en compagnie du maître des lieux et de Gaetano Pugnani, fait pendant à un autre tableau représentant une scène d'escrime chez Lord Hamilton, une des principales figures de la communauté britannique expatriée à Naples au siècle des Lumières, également conservé à la Scottish National Gallery.







Joos van Craesbeeck, L'artiste dans son atelier, vers 1635-1640.







Pietro Fabris, Kenneth MacKenzie, Sir William Hamilton, Gaetano Pugnani, Mozart et son père à Naples en mai 1770, 1771.




Le peintre peignant une allégorie de la musique
Dans les cas où le musicien peint est isolé et pose ostensiblement, on comprend que l'artiste n'a pas pour finalité un caractère réaliste ou commémoratif mais qu'il s'agit d'un choix délibéré, celui d'une allégorie. Bien que la qualification ne soit pas toujours délivrée dans le titre des œuvres, plusieurs indices tels que la préciosité du style pictural et la filiation thématique confirment que le peintre réalise bien une personnification de la musique : c'est par exemple le cas de la jeune femme à la guitare dans L'atelier de l'artiste de Mathieu le Nain (vers 1650-1655), ou plus explicitement encore dans Artiste peignant la musique (1803) de Marguerite Gérard. La transposition du modèle dans le tableau peint par l'artiste se distingue de la réalité de l'atelier par la grâce, le mouvement éthéré, certainement plus artificiel de la guitariste, sur un fonds nuageux presque dématérialisé, qui sont autant d'éléments d'une abstraction par l'allégorie.







Marguerite Gérard, Artiste peignant la musique, 1803.




Le peintre musicien dans son atelier
Giorgio Vasari est un des premiers à mentionner dans ses Vies de peintres (4) le talent de ses compères pratiquant également la musique. Outre Giorgione qui jouait du luth, Sebastiano del Piambo et Paris Bordone furent d'abord musiciens avant de se consacrer à l'art pictural, tandis que Tintoret, ami du compositeur et théoricien Zarlino, prenait « plaisir à cultiver tous les arts, en particulier la musique, jouant lui-même de divers instruments » (5) et que Titien avait commandé un orgue portatif en échange d'un portrait à Alessandro Trasuntino, célèbre facteur d'instruments à clavier installé à Venise. La musique fait incontestablement partie de l'éducation et de la culture de nombreux peintres de la Renaissance, pour qui le genre de l'autoportrait devient le lieu idéal pour mettre en scène cette pratique musicale – qu'elle soit antérieure ou complémentaire à leur activité de peintre.

            Il est toutefois à noter que le portrait de peintre en musicien, genre qui remonte à la fin du XVIe siècle, a d'abord été l'apanage des femmes : citons Sofonisba Anguissola, qui a laissé d'elle deux autoportraits à l'épinette ; Marietta Robusti, fille du Tintoret ; Artemisia Gentileschi s'est représentée en luthiste et en Sainte-Cécile au luth. Autre fait caractéristique dans ces premiers autoportraits de musiciennes : le décor de cette pratique n'est pas identifiable et aucun indice du métier de peintre ne transparaît, représentant uniquement la pratique musicale. Cependant, dans l'Autoportrait à l'épinette de Lavinia Fontana, le chevalet est visible dans le fonds et la mention inscrite en haut spécifie que le tableau a été peint grâce à un miroir. Au XVIIIe siècle, la place des femmes est loin d'être établie (6) mais leurs autoportraits mettent davantage en avant le statut de peintre que celui de peintre-musicienne, pouvant parfois conserver discrètement la trace de leur pratique musicale dans l'atelier comme chez Rose Adelaïde Ducreux ou encore Adèle Romanée.







Lavinia Fontana, Autoportrait à l'épinette, vers 1577-1578.




La mise en scène de la pratique peut varier considérablement d'un artiste à l'autre, valorisant autant les diverses compétences du modèle, les loisirs raffinés du peintre et les connaissances étendues de l'artiste. De l'Autoportrait de Paul Bril (vers 1600) où le peintre-luthiste semble exceller autant dans sa pratique instrumentale que dans l'art du paysage jusqu'à L'atelier d'Ingres à Rome de Jean Alaux (1818), en passant par le double-portrait de Jean-Baptiste de Champaigne et Nicolas de Platemontagne (1654), le cadrage de l'atelier conserve généralement un plan large qui permet de situer de façon efficace le lieu. L'atelier de Winslow Homer se distingue par un cadrage plus resserré et par la teinte des lumières qui introduit dans le jeu des deux musiciens, tandis que les éléments propres au peintre tendent à s'effacer, ou du moins à perdre en détail : la scène est entièrement focalisée sur l'acte musical (on peut identifier une partition de Mozart au pied du violoncelliste) et sur la communion entre les deux musiciens.






Winslow Homer, The Studio, 1867




Le peintre peignant en musique
Dans ce sixième cas, la musique accompagne le travail du peintre dans son atelier. Si l'on trouve au XVIe siècle des exemples pouvant illustrer cette situation (7), c'est au XVIIIe siècle que le tournant majeur s'effectue : l'artiste-bourgeois se représente dans un cadre cossu où dominent l'aisance et le bonheur des loisirs domestiques. À ce titre, reportons-nous au portrait familial que Jean Marc Nattier dresse dans son tableau commencé en 1730 et achevé en 1762, comme indiqué sur le clavecin. La blouse d'atelier et la palette à la main du peintre le situent dans son travail, tandis que l'aînée des quatre enfants ouvre un livre de musique et que sa femme est sur le point de tourner une page de sa partition. L'instrument était un clavecin à deux claviers du facteur Nicolas Dumont (fin du XVIIe siècle) selon l'inventaire de Mme Nattier et a fait l'objet d'un ravalement (redécoration après élargissement de la caisse des claviers).







Jean Marc Nattier, Nattier et sa famille, 1730-1762.




À l'inverse, les ateliers du XIXe siècle se caractérisent par la présence implicite, voire l'absence du peintre alors que les musiciens se sont véritablement approprié son lieu de travail. Dans Le petit atelier d'Ary Scheffer, intitulé ainsi pour distinguer l'atelier des apprentis de celui où peignait le maître, Ayr-Johannes Lamme a représenté Cornélia Scheffer sous la verrière en train de jouer le grand piano à queue. Plusieurs témoignages s'accordent sur l'ambiance qui régnait dans ce lieu où la musique était omniprésente (8). Plus loin dans le XIXe siècle, l'Atelier de la rue Condamine de Frédéric Bazille présente une mise en scène et une dynamique bien différentes. L'impression de convivialité se dégage dans ce tableau par la disposition des personnages, mais également par les œuvres accrochées dans l'atelier, que les amis de Bazille sont venus admirer. Le musicien sur la droite est Edmond Maître, ami de Bazille depuis 1865, dont on trouve un autre portrait de 1869.






Frédéric Bazille, Atelier de la rue La Condamine, 1870.






Le musicien parmi les habitués de l'atelier
Pour cette dernière catégorie, il s'agit plutôt des tableaux représentant le peintre entouré par plusieurs artistes, parmi lesquels se trouve un musicien. Bien qu'il soit rare de trouver ce genre de représentations dans la première moitié du XVIIe siècle, La réunion d'amis d'Eustache Le Sueur peut faire office de terminus post quem, date à partir de laquelle on trouve ce cas de figure dans l'art pictural. Ce portrait de groupe est ancré dans la tradition des « académies » dans la peinture française avec le luthiste symbolisant l'harmonie entre les différents individus, qui évoquent autant les cinq sens que les cinq tempéraments. La musique assure donc l'équilibre entre vie active et vie contemplative d'une part, et les plaisirs et l'intellect d'autre part.







 Eustache Le Sueur, Réunion d'amis, vers 1640.







Il semblerait qu'il n'y ait pas d'équivalent à cette réunion d'artistes avec un musicien dans la peinture du XVIIIe siècle. Bien que le statut de l'artiste ait changé, le siècle romantique réaffirme l'union des arts, une « fraternité des arts » qui se reflète avec le frontispice de Tony Johannot du premier fascicule de la revue L'Artiste (9). Rares sont les études portant sur la présence de la musique dans le lieu privilégié de l'atelier du peintre (10), devenu un lieu de rencontre et de représentation et d'identité de l'artiste devant une nouvelle audience. Florence Gétreau a repéré trois tableaux qui feraient office de « paradigmes de cette proximité », et dans lesquels le musicien est comme « noyé au milieu d'une multitude d'acteurs » : Une réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey (1798) de Louis Léopold Boilly avec le compositeur Méhul sur la gauche, L'Atelier d'Horace Vernet (1821) dont émerge le musicien Amédée de Beauplan parmi les militaires les peintres, et enfin L'Atelier du peintre (1855) de Gustave Courbet, où il a représenté le violoniste Alphonse Promayet (11). Ce dernier tableau, qualifiée d'« allégorie réelle » par Courbet lui-même, fait partie d'un ensemble de tableaux où il a représenté son ami Promayet : Un Après-midi à Ornans (1848-1849), Un Enterrement à Ornans (1850), ainsi que deux portraits du musicien 1847 et de 1851. À la fois violoniste et violoncelliste d'après son Autoportrait de 1848, Courbet avait même composé quelques chansons, complétant ainsi cet attrait musical qui s'était déjà manifesté dans ses illustrations pour les recueils de Max Buchon ainsi que de Champfleury et Weckerlin. Parmi ces visions personnelles de leur lieu de travail, les peintres ont représenté leurs amis musiciens à leurs côtés, laissant ainsi une trace de leur quotidien.





Conclusion
Le côté ostentatoire et l'émancipation des artistes romantiques dans le vacarme de leur lieu de travail se distinguent des représentations plus intimes des ateliers des XVIIe et XVIIIe siècles. Tous démontrent néanmoins la permanence des liens entre les arts, leur partage dans des milieux appartenant plus ou moins à une élite, mais surtout la pratique conjointe chez les artistes eux-mêmes de la peinture et de la musique.



Questions et remarques (extraits de la discussion).

La discussion qui a suivi a été l'occasion de soulever plusieurs points. Florence Gétreau a également souligné à plusieurs reprises que cette intervention, et plus généralement la rédaction de son prochain livre, était l'occasion d'approfondir plusieurs questions esquissées dans ses précédents ouvrages, en reprenant notamment ses travaux de 2007. Dans l'élaboration de cette intervention, nombre de tableaux ne correspondant pas au thème circonscrit de « l'atelier du peintre » ont été mis de côté, en plus du XXe siècle que Florence Gétreau n'a volontairement pas abordé.

-      À travers ce riche panorama, peut-on discerner des tendances dominantes dans ces articulations diachroniques ? Y a-t-il une fonction ou un usage de la musique qui traverse les siècles dans la représentation des ateliers ?
Florence Gétreau voit avant tout dans ces diverses représentations de la musique le symbole de l'harmonie. Que ce soit dans le thème de la vanité qui n'est présent que pendant les XVIIe et XVIIIe siècles ou dans celui de la famille du peintre au XVIIIe, l'amitié et la concorde sont souvent évoquées par les instruments d'harmonie avec le clavecin, mais surtout le luth, facile à incorporer dans une composition picturale complexe.

-      Par ailleurs, l'axe qui se dégage du chevalet ou de la table du luth donne plus de profondeur et de trajectoire à la mise en scène du tableau. Si la fortune picturale du luth est liée à une morphologie qui se prête aux jeux de lumière et de plasticités, il reste un instrument de l'élite tandis que le sistre, la guitare ou le violon, utilisés pour accompagner la danse, sont souvent les apanages d'une catégorie sociale plus populaire. Dans les tableaux caravagesques français ou romains, Florence Gétreau pense qu'une mésinterprétation de ces scènes subsiste en les situant dans des lieux de mauvaise de vie : il faudrait plutôt y voir une mise en scènes des artistes entre eux, de leurs amis.


-      Comparaison et discussion autour de La Bohème de Puccini, opéra dans lequel plusieurs artistes se réunissent.

-      Le peintre semble souvent privilégier la place des instruments à celles des sculptures lorsque ces deux objets sont présents dans son atelier. Peut-on y voir une référence au débat sur le Paragone de Léonard lorsqu'il valorise la musique contre la sculpture ?
Cette double plasticité de l'instrument et de la sculpture est souvent présente, note Florence Gétreau, mais la question reste ouverte, même s'il est plus probable que les plâtres et les sculptures étaient omniprésents dans l'atelier pour que les peintres apprennent leur métier.

-      Bien que la musique ait d'abord été un art mathématique au Moyen Âge, elle s'est par la suite désolidarisée des sciences. Il semble qu'il y ait de moins en moins d'instruments scientifiques dans les tableaux. Dans ce cas-là, le musicien, en perdant son compère scientifique, ne perd-il pas du sens allégorique pour tomber dans la scène de genre ?
Les allégories des arts et des sciences se trouvent encore jusqu'au XVIIIe siècle (par exemple chez Murat). Florence Gétreau met en garde : il ne s'agit pas réellement d'une perte pour un profit, ni d'une substitution. Quand les arts et les sciences sont symbolisés, c'est sous forme d'objets ou de femmes. Au XIXe siècle, on trouve plusieurs allégories des arts dans des lieux publics sous des formes plus décoratives, où l'expressivité n'est pas le but premier. Cette question mériterait un travail plus systématique et reste ouverte à l'interprétation de chacun.



[1]   Nous pouvons nous reporter à l'étude sur les représentations de l'atelier dans la peinture des pays du Nord au XVIIe siècle de Katja Kleinert, Atelierdarstellungen in der niederländischen Genremalerei des 17. Jahrhunderts, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2006.
[2]   Publication à venir aux éditions Citadelles et Mazenod.
[3]   Cf. Katja Kleinert, op. cit.
[4]   Titre complet et original : Le Vite de' più eccellenti architetti, pittori et scultori italiani, da Cimabue insino a' tempi nostri, publié une première fois en 1550, puis complété et réédité en 1568 à Florence.
[5]   Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, trad. de l'italien par André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1981-1987, VIII, p. 368.
[6]   Voir Eik Kahng, Marianne Roland Michel et alii, Anne Vallayer-Coster : peintre à la Cour de Marie-Antoinette, Paris, Somogy, 2003.
[7]   Cf. l'Allégorie de la Peinture ou atelier avec un luthiste, (c. 1615) attribuée à Johann Liss, dont le modèle a très certainement circulé à Paris par le biais d'une estampe de Gilles Rousselet.
[8]   Tout d'abord celui de Vitet : « Comme la plupart des peintres, Scheffer aimait la musique, et ne l’aimait pas à demi ; il en eût toujours entendu, même en peignant. De là dans cet atelier un concert à peu près perpétuel, si l’on peut appeler concerts ces matinées sans programme, sans apparat, presque sans auditoire, où les exécutans semblaient jouer pour eux-mêmes ou plutôt improviser, tant ils se sentaient à l’aise, bien écoutés et bien compris » (Louis Vitet, « Peintres modernes de la France – Ary Scheffer », Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 17, 1858, p. 512-513). On trouve chez Jules Janin un discours semblable : « [Scheffer] aimait la musique, il aimait tous les arts, et l'on voyait encore dans son atelier la tête de Liszt, et l'image intelligente de madame Viardot, son amie » (Jules Janin, Critiques, portraits et caractères contemporains, Paris, Hachette, s.d. [1859], p. 326). Florence Gétreau cite un autre témoignage de Janin sur l'atelier de Scheffer où sont mentionnés Pauline ainsi que Charles Dancla et Hubert Léonard. Enfin, nous recommandons la lecture de l'étude de Dominique More, « “Rus in Urbe” : rue Chaptal, la maison et les ateliers d'Ary Scheffer », Gazette des Beaux-Arts, CXI/1432-1433 (1988), p. 312-322.
[9]   Voir la gravure dans le premier numéro de la revue L'artiste, daté du 6 février 1831.
[10]   Une exception serait à relever avec Monika Fink, « Musik in Ateliers. Privates Musizieren bildender Künstler » in Monika Fink, Rainer Gstrein et Günter Mössmer (éd.), Musica Privata. Die Rolle der Musik im privaten Leben. Festschift zum 65 Geburtstag von Walter Salmen, Innsbruck, Edition Helbind, 1991, p. 129-139. Toutefois, si cette étude cite les ateliers de Delacroix, Bazille et Whistler à Paris, Rodin à Meudon, Ingres à Rome, Arnold Böcklin à Fisole et Max Klinger à Leipzig, elle n'aborde pas leurs représentations picturales.
[11]   Pour une analyse détaillée de ces derniers tableaux, nous nous reporterons au travail de Florence Gétreau, « Réunions d'artistes dans l'atelier : la place du musicien » in Damien Colas, Florence Gétreau et Malou Haine (éd.), Musique, esthétique et société au XIXe siècle : Liber amicorum Joël-Marie Fauquet, Wavre, Mardaga, 2007, p. 308-326.