jeudi 31 mai 2018

La musique à l’œuvre dans Le livre du Cœur d'amour épris de René d'Anjou (Paris, BnF, ms fr. 24399), Rose-Marie Ferré


La musique à l’œuvre dans Le livre du Cœur d'amour épris de René d'Anjou 
(Paris, BnF, ms fr. 24399)
Rose-Marie Ferré
BnF, 21/02/2018

Compte-rendu de Miguel Baptista (Master 1 Recherche en Musicologie, Sorbonne Université)

Le mercredi 21 février 2018 a eu lieu à la BNF une conférence de Rose-Marie Ferré avec pour sujet « La musique à l’œuvre dans Le livre du Cœur d'amour épris de René d'Anjou (Paris, BnF, ms fr. 24399) ». La conférence à tout d'abord commencé par une introduction dans laquelle Rose-Marie Ferré donne quelques détails sur la vie de René d'Anjou. Plus particulièrement, il est précisé qu'il était un homme d'état important, un intellectuel, et un homme de lettres. Il était aussi attiré vers la musique comme en témoigne la création d'une maîtrise de 12 chantres et le fait qu'il à probablement composé des textes, poèmes et de la musique (par exemple le motet "Dulcis amica Dei"). Pour finir l'introduction la professeure Ferré fait aussi mention des talents d'écrivain de René d'Anjou.

Rose-Marie Ferré nous explique dans cette première partie "de la série de tapisseries de Vénus dans le Paris 24399", daté de 1460, le contexte et la description de celles ci dans l’œuvre. L'histoire, basée sur l'amour courtois, suit les péripéties du chevalier Cœur à la recherche de la dame aimée en essayant de se garder des pièges de la séduction.

Tout d'abord une constatation de taille : seul le manuscrit français 24399 parmi ceux conservés à la BnF est complet au niveau du texte et de l'iconographie. On y trouve 70 miniatures. Les miniatures ont été faites vers 1480 1485  par le maître du retable de Beaussant selon François Avril. 

La situation dans le récit est détaillé. Le chevalier Cœur, invité dans le château d'Amour y admire une série de tapisseries. Le récit nous fait ensuite suivre Vénus dans ses appartement ou apparaît une seconde série d’œuvres. La seconde série des tapisseries est une métaphore de la première série. Elle donne plus de précisions sur les thèmes abordés.

Au cours de cette première partie Rose-Marie Ferré nous a parlé de la composition générale des images. Elle constate que la mise en page des enluminures représentant les tapisseries est identique à chaque fois : Une image sur les 2/3 du feuillet ainsi que la rubrique en dessous et avec un texte de cinq vers. D'un point de vue général Cœur est absent des enluminures contrairement à la première série des tapisseries. L'autre constatation de Rose-Marie Ferré est la présence d'une seule pièce représentée.


D'une manière générale les miniatures ont toute une structure semblable  : On voit la tapisserie qui est historiée avec une banderole inscrite en vue de face accrochée au mur au dessus d'un banc. Elle occupe plus de la moitié supérieure de l'image. Le sol lui est en damier bleu et vert avec un effet de perspective. 

Toute les scènes ont un fond ornemental vert avec des rinceaux dorés à l'exception de la quatrième pièce comportant un paysage.

Le thème principal des tapisseries est « le cœur et les diverses façons de le capturer ». A la suite de ce constat Rose-Marie Ferré nous décrit avec précision les différentes pièces de tapisserie avec le texte.

Rose-Marie Ferré conclut cette première partie en disant qu'ici dans cette série de tapisserie René d'Anjou, fait une métaphore malgré que le cœur ici est représenté sous sa forme normale (bilobée et rouge) celui ci fait allusion au cœurs « volants/volages ».Tout cela fini par une morale qui a forcément pour thème l'amour courtois et qui dit qu'il faut garder son cœur à l’abri des tentations. Pour finir cette première partie Rose-Marie Ferré ajoute que le destinataire de cette morale, le chevalier Cœur, est absent.


Au cours de la deuxième partie Rose-Marie Ferré nous parle des relations avec les œuvres dramatiques et musicales de l'époque. 

Le premier lien est avec la Farce de Pipée et l'utilisation d'une métaphore filée pour représenter l'amour courtois.
Comme le dit le Rose-Marie Ferré il y a des ressemblances entre les deux. Le personnage de Foul Cuider présent dans les tapisseries du livre "du Cœur d'Amours espris" qui est aussi un protagoniste de la Farce de la Pipée, ensuite la personnification de l'Espérance, est associé ici à un thème plus négatif (l'arrogance de l'amour). La scène dépeint l’Espérance prenant des cœurs ailées dans un piège à glu. Les cœurs y perdant quelques plumes. Cela revoit directement à l'intrigue de la farce de la pipée ou "Plaisant Folie" sert d’appât pour "Cuider" et qu'ils prennent au piège et plument littéralement les autres personnages attirés par la beauté de la jeune fille. Pour confirmer ce lien Rose-Marie Ferré  nous indique que d'après les recherches de Bruno Roy le fou Triboulet (un comédien et poète au service du roi René) avait dans son répertoire une pièce intitulée les Oiseaux, autre titre de la Farce de la Pipée.
L'apparition du vieillard et de Roger Bon Temps fait aussi allusion aux farces. Le personnage de Roger Bon Temps est présent dans la septième et le vieillard la huitième tapisserie. Contrairement à ce qui figure dans les autres rubriques, le numéro des tapisseries n'est pas donné et la scène n'est pas décrite : on cite les paroles du personnage.  Donc ici le coté dramatique est induit clairement. On se trouve donc dans l'oralité, effet renforcé la posture de Roger Bon Temps ainsi que sa bouche ouverte notamment. 
Tout cela permet à Rose-Marie Ferré de confirmer que le commanditaire de Paris et l'artiste enlumineur ont connus la farce et le théâtre allégorique.

Dans la dernière partie de la conférence, Rose-Marie Ferré nous parle de la lecture performative.
Dans les tapisseries l'agencement de l'image est tel que le lecteur est en position de spectateur surtout avec l'utilisation de la contre-plongée. De plus comme le précise Rose-Marie Ferré un banc est représenté ici pour matérialiser l'espace entre le spectateur et la scène.

Il y a aussi les présences de figures qui pourrait représenter des acteurs en train de jouer avec l'utilisation de plans différents viennent confirmer l'espace de représentation notamment la quatrième scène dont le fond est un paysage contrairement aux autres tapisseries. 


La tapisserie devient scène de théâtre avec un personnage jouant la farce.

La lecture permet d’apporter des éléments supplémentaires. En effet avec les rubriques ainsi que les banderoles l'auteur est obligé de regarder la tapisserie et que le texte. Cependant Rose-Marie Ferré précise que le lien entre la rubrique et ce qui se trouve réellement dans les scènettes n'est pas complet. Sur la tapisserie il y a présence de notes et même de portés musicales  ce qui fait que l'on passe de mots parlés à chantés. 
Rose-Marie Ferré en tire la conclusion que les chansons devaient certainement commencer et finir le jeu ou être incorporer dans la pièce comme un intermède musical, comme dans la Farce de Pipée avec diverses chansons présentes.
La conférencière nous précise ensuite qu'au XVème et XVIème siècle la chanson est fortement liée à la farce vu que toutes les deux ont des thèmes convergents. De plus il est aussi préciser que la chanson est en vogue à cette période. La chanson permet aussi de suspendre le temps de l'action ou tout du moins changer le rythme d'une pièce, rythme particulier montré dans les banderoles des tapisseries de la Chambre de Vénus.

En conclusion Rose-Marie Ferré nous résume tous les thèmes et approches de la conférence en précisant que la lecture du "Livre du cœur d'Amours espris" de René d'Anjou est réservée aux lecteurs avertis, connaissant les œuvres en vogues et les thèmes de l’époque et  indissociable du théâtre.



mercredi 30 mai 2018

L'iconographie du spectacle musical dans les anciens Pays-Bas, 16e -17e siècles, Karel Moens

L'iconographie du spectacle musical dans les anciens Pays-Bas, 16e -17e siècles
Karel Moens 
Bnf, salle Richelieu, le 21/02/2018 

Compte-rendu d'Aline Poirier (Master Professionnel de pratique de la musique médiévale, 1ère année, Sorbonne Université).

Les arts plastiques, en général, représentent rarement le monde de façon réaliste, mais ils comportent bien souvent une dimension symbolique. Nous allons étudier la vie musicale dans différentes villes des anciens Pays-Bas à travers des tableaux représentant des Omegang, mot flamand désignant les cortèges de rue. La dimension picturale de ces Omegang est à la fois sociale et musicale. L'ensemble est un tout symbolique et composé, théâtralisé, dont seuls les détails sont réalistes. 

En effet, au 16e siècle dans les Flandres, la peinture ne représente pas la vraie vie mais les catégories sociales, sous une forme très symbolique : le paysan, le mendiant, l'étranger (souvent le Turc), se voient dotés de multiples défauts (ivrognerie, disputes...), à l'opposé des qualités que les citoyens des classes supérieures s'attribuent. Deux autres figures, le bouffon et l'homme sauvage, sont aussi très courantes. Le bouffon pouvait être ménétrier, c'est à dire musicien professionnel appartenant à une guilde, mais l'inverse existait également : un ménétrier pouvait être aussi bouffon. Dans de nombreuses représentations de scènes musicales, le musicien se tient à l'écart, son rôle étant de dénoncer la folie de la compagnie. En effet, le bouffon-musicien est souvent appelé Ratio (la Sagesse), ce qui lui confère un rôle symbolique en lien avec cette inversion des qualités qui le relie paradoxalement aux deux extrêmes du fou et du Sage, qu'il incarne ainsi simultanément. 

Les seules représentations réalistes de spectacles musicaux sont finalement celles des Omegang, dont la composition d'ensemble est théâtralisée pour des raisons politiques et sociales. Mais les détails, nous allons le voir, sont eux très réalistes. Au début du 17e siècle, suite à la conquête de cete région protestante par les espagnols catholiques, les deux tiers de la population urbaine sont partis en exil, ou bien persécutés et décédés. Ernest d'Autriche sera alors nommé souverain des Flandres par le roi d'Espagne. Lui succèdera Albert, archiduc d'Autriche, fils de l'empereur Maximilien II d'Autriche. Ainsi, les tableaux de cortège doivent être considérés comme des portraits qui doivent démontrer au roi d'Espagne la prospérité du pays et la bonne entente des nouvelles autorités catholiques avec la population. Certains de ces tableaux d'Omegang seront même envoyés en Espagne à cette fin. Albert et son épouse Isabelle de Castille (flle du roi Philippe II d'Espagne) ont commandé au total six tableaux d'Omegang, dont quatre ont été conservés. Un exemple caractéristique d'Omegang est celui de 1615, qui montre le cortège autour de l'église de Notre-Dame-des-Sablons de Bruxelles. Isabelle se fait couronner reine de la corporation des tireurs à l'arc. Un joueur de fifre et tambour ouvre le cortège, précédé par des danseurs. 

Quelle était la musique jouée lors de ces Omegang ? Pour celle de fifre et tambour, nous pouvons nous en faire une idée en écoutant les musiciens actuels qui ont fait perdurer cette musique. Viennent ensuite les six ménétriers de la ville de Bruxelles. Il est frappant de reconnaître les traits des six mêmes musiciens-ménétriers que ceux peints dans une Omegang précédente, qui représentait le banquet nuptial d'Albert et Isabelle. Voici leurs instruments : trois chalemies, un cornet à bouquin, une douçaine, une sacqueboute. En effet, chaque ville possédait trois à six ménétriers, tous multi-instrumentistes (ils maîtrisaient sept instruments à vent et à corde, à l'exclusion des claviers). Ils se produisaient au minimum à deux, et jouaient le plus souvent soit à trois, soit à six. Pour les plus grandes occasions, les ménétriers venaient depuis de nombreuses villes environnantes. Quant à la musique d'Omegang, qui était polyphonique, il nous en reste quatre-vingt-dix-neuf manuscrits. Ensuite, des chars, inspirés par des mythes tels qu'Apollon et la Muse, Pégase etc, suivent les musiciens. L'on peut y voir des animaux mythiques tels que le chameau, la baleine, le géant, la licorne, guidés par des bouffons-musiciens. Nous trouvons également le Turc, avec son visage noirci, et l'homme sauvage, enduit de colle et de plumes. Le cheval Bayard, figure récurrente dans les Omegang, était guidé depuis le 16e siècle par un joueur de cornemuse. Depuis le 17e siècle, cette fonction est exercée par un violoniste, de nos jours issu d'école de musique, mais auparavant titulaire de cette fonction de père en fils, appartenant à la guilde des dockers, capables de soulever un cheval de près de deux tonnes. Au 20e siècle, le dernier violoniste de cette guilde fabriquait encore son violon, de facture monoxyle, avec une technique proche de celle des musiciens du Moyen Âge. Au 19e siècle, nous pouvons observer un retour des Omegang, qui a été l'occasion du renouveau de la facture d'instruments anciens tels que la cornemuse. 

Le phénomène des grands cortèges d'Omegang, dont l'origine date du 14 e siècle, après une éclipse à la période calviniste, a connu son apogée au 17e siècle avec Albert et Isabelle. Contrairement aux représentations de musiciens dans d'autres formes d'art plastique, les musiciens dans les Omegang sont très réalistes, puisqu'ils sont insérés dans une composition déjà allégorique du point de vue social et politique. C'est une chance pour la recherche musicologique, enrichie de ce nouveau champs d'étude qui pourrait s'appeler "anthropologie de l'histoire musicale".