vendredi 24 février 2012

Compte rendu du séminaire du 16 février 2012



Questions de lexicologie
Isabelle Marchesin et Lionel Dieu

Isabelle Marchesin rappelle l’importance et la valeur scientifique de création d’un lexique au sein de Musiconis. En effet, la présence des littéraires parmi nos partenaires impliquait l’introduction d’une recherche dans les textes et non plus seulement dans les images, malgré le fait que ce dernier point soit la clef de voûte du projet Musiconis. L’interdisciplinarité affichée du projet se devait d’intégrer une étude des termes renvoyant aux instruments de musique dans les écrits médiévaux. Outre l’offre d’un outil indispensable pour les non musicologues, ce lexique permettrai également au public de sentir l’évolution du champ référentiel dans lequel s’inscrivent les instruments. En effet, les références changent d’une période à une autre et donnent des indications sur le contexte intellectuel et anthropologique dans lequel elles s’expriment. Une mise à plat lexicale s’impose alors et participe à la valeur du projet.
Trois langues ont été retenues pour la réalisation de ce lexique : le latin en privilégiant les références médiévales aux références antiques, la langue d’oïl et la langue d’oc, autrement dit l’occitan médiéval. Ces trois langues pourront être interrogées en parallèle et elles auront toutes une correspondance en français moderne. Pour éviter les problèmes d’erreur de signification, les dictionnaires modernes d’où seront issues les définitions et correspondances avec le latin ou l’ancien français seront renseignés. Il y aura ainsi deux références pour chaque terme : le texte médiéval d’où le mot est issu et le dictionnaire moderne qui l’a référencé. L’ampleur de la tâche étant déjà importante, nous ne prendrons pas le risque de proposer une définition ; les personnes intéressées pourront alors se reporter aux dictionnaires. Quant à l’étymologie, Xavier Fresquet propose d’établir un renvoi au Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales en ligne, en réalisant des liens entre nos termes et leurs étymologies.
Plusieurs problématiques entrent en ligne de compte : la polysémie et l’extrême plasticité de la terminologie mais aussi de ses significations. Les correspondances avec le visuel et éventuellement avec l’auditif. En ce qui concerne le visuel, la décision est prise d’ajouter la possibilité aux consultants du lexique d’afficher toutes les fiches de la base renvoyant à un terme précis. Pour l’auditif, nous verrons par la suite s’il est possible d’enregistrer quelques secondes de musique pour faire entendre le son de chaque instrument.
À propos du latin, Nicolas Meeùs nous met en garde contre la difficulté de faire coïncider un terme à un instrument précis en français moderne. Isabelle Marchesin ajoute que la primauté de la littérature patristique dans les écrits du haut Moyen Âge en particulier, induit une juxtaposition de deux contextes intellectuels : l’héritage de la tradition littéraire antique et la réalité musicale médiévale. Le problème étant de pouvoir entrer dans un contexte cognitif particulier pour mieux saisir l’importance de l’univers musical dans lequel évolue la lexicologie correspondante.
À propos de l’ancien français, Jean-Marie Fritz a indiqué plusieurs références bibliographiques sur la terminologie des instruments de musique : notamment les travaux de Pierre Bec (pour l’occitan) et trois thèses allemandes (pour la langue d’oïl), ainsi que divers dictionnaires. La décision est d’ailleurs prise de concentrer notre travail sur la recherche des termes dans les dictionnaires (le Godefroy pour l’ancien français notamment) en privilégiant ceux qui citent la source médiévale. De fait, les citations d’où seront extraits les termes ne seront pas transcrites.
La représentation du son étant le thème majeur du projet Musiconis, incluant ce qui se rapporte à la vocalité et à l’orchestique, la décision est prise d’organiser le lexique en quatre grandes parties :
- l’organologie, les accessoires et la fabrication des instruments
- ce qui est de l’ordre de la performance instrumentale
- ce qui est de l’ordre de la performance vocale (cris et parole inclus)
- le corps en mouvement musical, autrement dit l’orchestique.
De fait, outre les noms d’instruments, le lexique sera ouvert aux différents cris et à la façon de crier, tout en délaissant les interjections beaucoup trop nombreuses et à la variabilité quasi infinie ; aux différents types de musique (mélodie, sonnet, lai, etc…), aux différents types de danse.
L’APEMUTAM ayant déjà créé un lexique pour les instruments de musique dans toutes les langues (anciennes comme modernes), celui-ci nous servira de base. Le lexique de l’APEMUTAM fonctionne avec la collaboration de plusieurs personnes différentes et permet la validation des entrées par un ou plusieurs administrateurs. La citation obligatoire et la présence de nombreuses langues, ce lexique est une entité propre possédant des qualités intrinsèques ; de fait nous ne souhaitons pas le dissoudre dans le lexique Musiconis. Les deux entités resteront indépendantes, même si les termes ne figurant pas dans le lexique de l’APEMUTAM seront ajoutés suite au travail pour Musiconis (avec cependant une absence des citations primaires). En outre, le lexique Musiconis intégrera ce qui est de l’ordre de la performance vocale ainsi que l’orchestique ce qui n’est pas l’objectif premier de celui de l’APEMUTAM dont l’intérêt est surtout axé sur l’organologie.
Pour enrichir le travail lexical, il sera proposé à des étudiants en Master d’étudier la terminologie dans certains textes spécifiques.
Welleda Muller

samedi 11 février 2012

Comte rendu du séminaire du 26 octobre 2011


Présentation de la base APEMUTAM
 Lionel Dieu et Christian Brassy

L’Association Pour l’Étude de la MUsique et des Techniques dans l’Art Médiéval présidée par Lionel Dieu, réunit des luthiers, des archéologues, des iconographes, des musicologues et des musiciens. L’une des activités de cette association est l’organisation de Rencontres de lutherie et de musiques médiévales de Largentière coordonnées par Christian Brassy, qui permet aux spécialistes de parler de sujets précis touchant à la reconstitution d’instruments de musique médiévaux grâce au support des images médiévales. L’APEMUTAM regroupe plusieurs bases de données d’images de musiciens dans l’art médiéval : celle de Lionel Dieu sur l’art roman, celle d’après le site de Jean-Luc Matte sur les cornemuses, une base encore incomplète sur la Normandie qui a permis de travailler sur les guiternes, et plusieurs centaines de photos concernant tous les supports, du XIIe au XVIe siècle prises par les membres de l’association. Plus de détails sur le site internet de l’association : www.apemutam.org

• Résumé de l’intervention de Lionel Dieu et Christian Brassy :
La philosophie de l’APEMUTAM est de faire confiance à l’iconographie médiévale, de repérer à l’intérieur de celle-ci tous les éléments permettant de mieux connaître les instruments médiévaux et de les mettre en relation avec les vestiges archéologiques qui ont été retrouvés, dans le but de reconstituer les instruments. Bien évidemment la question de la fiabilité des images s’est posée, et globalement, les membres de l’APEMUTAM ont constaté un assez bon réalisme des instruments de musique figurés. De plus, les tracés géométriques de ces instruments ont été mis en évidence : le point de départ de ces images était en effet la géométrie (cercle, triangles, carré, etc...). Et cette réflexion sur la géométrie des instruments a été amenée par une expérience de reconstitution d’un cordophone représenté à Saint-Jacques de Compostelle. Christian Brassy précise que dans ces reconstitutions d’instrument, le rôle des interprètes est prédominant ; une vièle sans touche représentée à Saint-Donat-sur- l’Herbasse a été reconstituée en 2010 et grâce à l’expérience de musiciens, ils ont pu confirmer que l’instrument était jouable, ce qui n’était pas évident de prime abord. L’APEMUTAM insiste d’ailleurs sur l’importance et la nécessité de l’expérimentation dans la reconstitution des instruments d’après des images médiévales. Il a par exemple été remarqué qu’un cordophone sonnait beaucoup mieux avec des cordes en boyaux artisanales qu’avec celles manufacturées en série.
Dans le travail de la reconstitution d’instruments de musique médiévaux d’après les images du Moyen Âge, Lionel Dieu a senti l’importance d’établir une base de données permettant une vue d’ensemble de nombreuses représentations d’instruments de musique, ainsi que le classement de données organologiques précises. S’intéressant à l’art roman, il a prospecté pendant une quinzaine d’années pour réunir des clichés de musiciens sculptés et peints dans un maximum d’églises romanes (jusqu’en 1200), qu’il a ensuite classés dans une base file maker. Au fil du temps, Lionel Dieu a ainsi construit plusieurs tables qui peuvent être interrogées ensemble ou séparément ; les listes peuvent alors fusionner.
Globalement, la base de Lionel Dieu est constituée en deux structures : le fichier général nommé « inventaire » avec les photos et les informations générales sur les sculptures (lieu, date, supports, etc...), intégrant également une réflexion personnelle sur les relations entre les musiciens et l’Église ; il a alors ajouté un champ « type de scènes » et un autre « sujet ». À ce classement de base, s’ajoute ensuite une table centrée sur les instruments et de fait sur l’organologie, mettant en évidence des détails organologiques qui peuvent être utiles lors de la reconstitution. Pour les vièles sur lesquelles Lionel Dieu a longtemps travaillé, sont ainsi renseignés divers champs concernant la forme générale, à la forme du cheviller, des ouïes, du sillet, du cordier et du chevalet (en distinguant forme et mode de fixation), du nombre de cordes, etc...
Pour plus d’efficacité dans la future indexation de Musiconis, Lionel Dieu, fort de son expérience sur sa propre base, conseille la systématisation des menus déroulants et la multiplication des champs d’indexation afin de ne pas être limité dans les recherches futures et d’éviter les différences d’orthographe. Il propose d’intégrer dans l’indexation les éléments à partir du moment où ils sont récurrents. Il ajoute qu’un champ « libre » doit être proposé pour tout ce qui concerne l’interprétation et les spécificités organologiques que l’on peut rencontrer. Isabelle Marchesin confirme en précisant que les cas de « mauvais usage » volontaire des instruments de musique (dans le cadre du charivari notamment) pourraient ainsi être renseignés dans ce champ particulier. Frédéric Billiet signale que la base Musicastallis comporte de nombreux menus déroulants et des champs libres et que ces fonctionnalités sont efficaces.
Le travail de classement mené par les membres de l’APEMUTAM a notamment permis de mettre en évidence certaines spécificités locales. Christian Brassy a ainsi mis en lumière les spécificités d’une guiterne « normande », qui a alors été reconstituée en compilant les caractéristiques organologiques et physionomiques des guiternes représentées dans les vitraux des édifices de Normandie datant du XIVe siècle (parmi ces caractéristiques on trouve la physionomie piriforme, la tête en faucille ornée d'une tête d'animal sculptée, etc.). Ce travail de « collection » les détails a ainsi facilité la reconstitution d’instruments. En outre, ce travail est également utile pour distinguer les restaurations du XIXe siècle, parfois difficilement identifiables. L’anachronisme de certains instruments de musique sur des sculptures romanes (tel le rebec qui n’apparaît pas avant le XIVe siècle et la cornemuse dont l’apparition date de la fin du XIIIe siècle) et qui sont représentés sur des sculptures censées dater du XIIe siècle) a par exemple été relevé, mettant en lumière une restauration du XIXe ou du XXe siècle (néanmoins, Lionel Dieu a remarqué que si le style de l'architecture était parfois un peu tardif les instruments de musique étaient quant à eux toujours "d'actualité"). Et ce travail est particulièrement intéressant dans le cas des vitraux, dont les restaurations sont très fréquentes et « compilent » parfois des éléments médiévaux avec des éléments créés aux XIXe et XXe siècles ; dans ce cas les détails organologiques permettent parfois d’identifier les morceaux authentiques et les pièces restaurées (par exemple sur les vitraux de la cathédrale d’Évreux).
À la question posée lors du premier séminaire : les artistes étaient-ils aussi musiciens ou luthiers ? Lionel Dieu propose de répondre qu’à l’époque romane, dans les exemples qu’il a compilés, les artistes semblent avoir représentés les instruments d’après ce qu’ils avaient vus ; ce qui expliquerait les déformations de certains psaltérions (vu une fois quelque part et dont est restée une forme générale dans l’esprit du sculpteur ou du peintre). Il cite aussi la présence de sonnailles liturgiques anormalement représentées au cou de béliers. Isabelle Marchesin souligne cependant l’idée que cette juxtaposition était peut-être volontaire ; la signification liturgique est en effet à prendre en compte et on peut remarquer que le réalisme littéral n’est pas une préoccupation majeure des artistes médiévaux qui cherchaient plutôt à suggérer une idée derrière ces images de musiciens.
Enfin, grâce aux Rencontres de lutherie et de musiques médiévales de Largentière, les instruments inconnus trouvés dans les images médiévales, font l’objet d’une réflexion de divers spécialistes confrontant leurs expériences. Les chercheurs ont par exemple soulevé l’importance de ramener la musique à une pratique et de distinguer les qualités instrumentales par rapport au contexte dans lequel elles s’expriment.

• Ouverture de la recherche :

Des réflexions ont été proposées grâce à l’intervention de deux membres de l’IRPMF (Institut de recherche sur le patrimoine musical en France) : Nicole Lallement et Florence Getreau. 

- Problématique du nom « générique » de l’instrument et des différentes dénominations vernaculaires de l’époque. Frédéric Billiet propose d’adopter le terme « dénomination » qui correspondra à un terme actuel le plus précis possible et d’ajouter lorsqu’on le peut les divers termes locaux, latins ou vernaculaires que l’on trouvera dans la littérature médiévale. 

- Importance de la création d’un forum pour Musiconis, dans lequel on pourra interroger les divers spécialistes sur des questions organologiques précises. Christian Brassy propose de l’héberger sur celui du portail des musiques médiévales (www.musiques-medievales.eu) qui fonctionne déjà bien et qui regroupe de nombreux spécialistes. 

- Florence Getreau insiste sur la nécessité de prise en compte de l’historiographie de l’indexation musicale. Il faut consulter les catalogues déjà effectuer pour faire une synthèse des critères organologiques à renseigner dans Musiconis. Une nomenclature et un découpage précis des descripteurs a déjà été élaborés par l’IRMPF, ce qui pourrait servir de modèle (la base Euterpe fonctionne avec un thesaurus par exemple). La terminologie pourrait contenir environ une dizaine (ou une quinzaine selon les instruments) de critères organologiques. Florence Getreau propose de fournir une bibliographie et Frédéric Billiet assurera la synthèse des listes des descripteurs (APEMUTAM, IRPMF, Musicastallis). 
- La question de la visibilité de ces tables complexes est soulevée. Isabelle Marchesin précise qu’à terme, lorsque la méta-base sera accessible sur internet à tous, la visibilité sera hiérarchisée; des recherches spécifiques pourront être effectuées (notamment par les historiens de l’art qui ne sont peut-être pas intéressés par des points organologiques très précis). Il convient de distinguer la saisie et ce qui sera visible à terme. 
- Isabelle Marchesin insiste sur le fait que les analyses organologiques sont un aspect indispensable de l’enquête sur le son et un apport non moins important de la méta-base Musiconis, mais ils seront nécessairement hiérarchisés pour satisfaire les attentes différentes selon les utilisateurs. Le but de Musiconis est également de nous interroger sur ce qui fait sens dans l’image musicale médiévale.
 - La problématique de la bibliographie est posée. Isabelle Marchesin répond qu’un champ bibliographique est prévu, mais qu’il sera absolument centré sur l’image indexée et non pas sur des généralités. 
- Suite à l’importance des tracés géométriques dans les images de musiciens soulevée par Christian Brassy, Isabelle Marchesin s’interroge sur l’importance des proportions dans ces images, ainsi que sur la possibilité d’identifier les composantes géométriques. Christian Brassy répond que les formes géométriques sont parfois facilement remarquables (notamment dans les vièles et les guiternes), mais qu’elles peuvent être beaucoup plus ardues à mettre en évidence (notamment en ce qui concerne les harpes).
Welleda Muller

vendredi 10 février 2012

Premier bilan

Nous venons de rendre notre premier bilan à l'ANR. Depuis 6 mois nous avons mis en place des séminaires bi-mensuels pour les étudiants musicologues en Master de l'Université Paris-Sorbonne, dans lesquels sont intervenus plusieurs de nos partenaires, notamment :
- Isabelle Marchesin et Katarina Livljanic sur les corps chantant : Les chantres dans les images, entre réalité et système symbolique, quelle proposition méthodologique adopter ?
- Frédéric Billiet sur la musique dans les stalles de chœur.
- Jean-Marie Fritz sur la musique dans la littérature médiévale : La cloche et la lyre. Pour une poétique médiévale du paysage sonore.
- Vincent Debiais et Cécile Voyer sur la parole et l'écriture dans l'image : Voir et entendre et l'écriture dans l'image musicale.

Deux ingénieurs de recherches en post-doc ont été recrutés pour l'indexation des images dans la future base :
- Welleda Muller pour l'Université Paris-Sorbonne (PLM)
- Sébastien Biay pour l'Université de Poitiers.
Les indexants se sont mis d'accord avec Frédéric Billiet et Isabelle Marchesin sur les champs à renseigner et ont réalisé des fiches test sur les bases Musicastallis (Paris-Sorbonne), Romane (CESCM, Poitiers), Vitrail (INHA), Enluminures et Liber Floridus (IRHT. Les indexants ont également réalisé des répertoires des images exploitables par Musiconis dans Musicastallis, Romane et Enluminures. Enfin, un lexique relatifs aux instruments de musique et à la voix humaine a été commencé donnant les correspondances du français contemporain et de l'ancien français (langue d'oïl et d'oc).

Un informaticien a également été employé pour développer la base en utilisant un nouveau langage :
- Benjamin Pavone pour l'Université Paris-Sorbonne (STIH).

Un bureau en salle d'organologie a été mis à disposition sur le site de Clignancourt pour les indexants et les réunions des autres membres.
Welleda Muller

jeudi 9 février 2012

Compte rendu du séminaire du 29 septembre 2011

Chantres, Psautier-heures MS 0121, 1330-1340, BM d'Avignon
La vocalité en images, la figure du chantre dans les manuscrits médiévaux

Isabelle Marchesin

Dans le cadre d’une réflexion interdisciplinaire sur les images, Isabelle Marchesin a présenté son travail sur la figure du chantre dans les manuscrits médiévaux. Elle a ainsi réuni un corpus d’environ 80 manuscrits datant des premières apparitions des images de chantres à la fin du XIIe siècle, jusqu’au XIVe siècle, et l’a classé dans un tableau à plusieurs entrées, qui met en évidence plusieurs découvertes permettant de formuler des hypothèses. Tout d’abord, il semble que la figure du chantre soit relativement absente des manuscrits comportant de la notation musicale ; de plus, ces images étant fort rares dans les missels et les pontificaux, on peut en déduire que les représentations des chantres n’étaient pas liées à la liturgie. Quoi qu’il soit, il est important de rappeler le double statut de l’image dans le manuscrit : à la fois un repère visuel et une image articulée avec le texte.

La figure du chantre n’apparaît dans la lettrine C (du cantate) du psaume 97 qu’à l’époque dite « gothique », puisqu’une des premières occurrences iconographiques est daté de la fin du XIIe siècle, dans un manuscrit italien conservé en France. Pour les enluminures antérieures de ce Psaume, Isabelle Marchesin a remarqué des éléments animaliers que l’on aurait pu croire « décoratif », mais qui ont la bouche ouverte, induisant la notion de chant, très logiquement dans la lettrine du cantate. On trouve également le Christ Logos, celui qui, par le Verbe crée et restaure l’ordre du monde, qui est musical puisque l’on parle de l’harmonie du monde. La notion de vocalité par la bouche ouverte et par le Verbe divin est donc précurseur à la mise en place des chantres dans la lettrine C du psaume 97.

Chantres, Bible Ms 0262 t. IV, XIIIe siècle, BM du Mans
À l’étude des premières images de chantres, Isabelle Marchesin a également mis en valeur un véritable changement de paradigme grâce à la façon dont sont représentés ces chantres. Dans le manuscrit italien de la fin du XIIe siècle, le chantre est debout, la bouche grande ouverte et il tient un bâton cantoral. Dans un manuscrit légèrement postérieur, produit à Paris au début du XIIIe siècle, le chantre est devant un lutrin sur lequel est posé un livre et la bouche n’est qu’entre-ouverte. L’hypothèse formulée est alors que le premier exemple est une image du chantre en tant que personnage ou même archétype, alors que le second est la représentation de la musique elle-même : musique savante dont la complexité est mise en valeur par le livre. Le développement de l’iconographie des chantres à lutrin dans le milieu parisien s’inscrit dans la logique de ce premier grand changement de paradigme : il s’agit alors de figurer une musique savante dont la qualité scientifique ne réside plus dans les rapports mathématiques (comme c’était le cas dans le milieu monastique) mais dans la complexité de la pratique du chant lui-même. Ce changement de point de vue viendrait de ce que les enlumineurs de ces images étaient majoritairement des laïcs appartenant à des ateliers urbains, et non plus des moines. Ainsi, l’image du chantre, d’abord élaborée par des clercs et surtout par des moines pratiquant eux-mêmes le chant, fut ensuite reprise et réinterprétée par des laïques qui ont cherché à mettre en valeur la musique dans son aspect de pratique savante, le contexte de l’émergence de l’organum à Paris, notamment celui de l’école de Notre-Dame, particulièrement complexe et riche.

• Ouverture de la recherche :
Des pistes de recherches ont été ouvertes grâce à la discussion dans laquelle sont intervenus Katarina Livjljanic - spécialement invitée pour son travail musicologique lié à l’interprétation de la musique médiévale (ensemble Dialogos) - , Isabelle Ragnard et Frédéric Billiet ; certaines idées à creuser ont ainsi été évoquées, notamment :

- la représentation des vêtements liturgiques et leur incidence sur la musique produite par les chantres (hiérarchie, polyphonie ?).
- la question de la représentation de la monodie et de la polyphonie dans les images de chantres (gestes spécifiques, positions des corps ?).
- l’usage et les fonctions signifiantes du rotulus.
- la question de la représentation en image de l’espace sonore dans lequel sont inscrits les chantres (utilisation du fond or, relation au cadre et à la lettrine, etc.).
- l’extériorisation de la musique avec la prise en compte des points de vue des chanteurs d’aujourd’hui sur les différents gestes. 
Welleda Muller

mercredi 8 février 2012

Compte-rendu de la réunion inaugurale


Réunion du 28 septembre 2011

Présents : Marcello Angheben, Sébastien Biay, Frédéric Billiet, Aurélia Bolot, Karine Boulanger, Cédric Clément, Vincent Debiais, Xavier Fresquet, Olivier Geneste, Jean-François Goudesenne, Isabelle Marchesin, Michel Maupoix, Claude Montacié, Evelyne Moser, Welleda Muller, Benjamin Pavone, Jean-Christophe Valière, Cécile Voyer.

Excusés : Lionel Dieu, Benjamin Bagby Claude Andrault-Schmitt, Benjamin Bagby, Pierre Catanes, Cristelle Cazaux-Kowalski, Luc Charles-Dominique, Béatrice Coquet, Lionel Dieu, Fabienne Joubert, Claudine Lautier, Marie-Barbara Le Gonidec, Éric Palazzo, François Picard, Isabelle Ragnard.

L’objectif de la journée est de configurer rapidement un modèle théorique d’indexation pour que les informaticiens et les indexants puissent commencer à travailler.

• Le projet :
Frédéric Billiet rappelle les grandes lignes du projet: la constitution d’une « métabase » pour l’iconographie musicale du Moyen Âge. Cette métabase devra réunir les bases existantes Musicastallis, Romane, les bases du Centre André Chastel (vitrail, sculpture gothique), celle de l’APEMUTAM (Association Pour l’Étude de la MUsique et des Techniques dans l’Art Médiéval) et celles de l’IRHT (Enluminures, Liber Floridus, etc.) ; les chercheurs impliqués dans Musiconis apporteront aux informations présentes dans ces bases-sources la valeur ajoutée de l’indexation du contenu musical des images.
Le corpus sera constitué des images contenant des instruments de musique isolés, des figures associées à des instruments de musique ou à des objets assimilés (dans le cadre du Charivari), des figures associées au son en général (tels les chanteurs et les danseurs), ainsi que de la notation musicale sous toutes ses formes. Il rassemblera une grande diversité de techniques (sculpture sur pierre, sur bois ou sur ivoire, peinture monumentale ouTenluminure, art du vitrail, tapisserie, etc.) et de supports (décor monumental, manuscrits, mobilier, objets divers).
La chronologie des œuvres concernées inclura toute la période médiévale. Le corpus s’arrêtera là où un changement de paradigme très clair s’opère dans la représentation du son (XVIe siècle). Musicastallis inclut les représentations néo-romanes et néo-gothiques ; celles-ci ne pourront pas être traitées dans le cadre de l’ANR, car les critères d’indexation différent de ceux utilisés pour les représentations médiévales. Cette extension du corpus pourra néanmoins faire office de « piste d’ouverture » à la fin du projet (Vincent Debiais).
Ainsi défini, le corpus est relativement restreint ; Frédéric Billiet l’estime entre 3000 et 4000 scènes en le limitant aux grands supports. Un travail d’affinage sera nécessaire. Le caractère réduit du corpus permettra de gérer les transformations du modèle d’indexation au fur et à mesure du travail.
En outre, on ne pourra pas faire l’économie d’un travail de recherche des images associées à la musique sur les supports non numérisés, ce qui risque d’allonger le temps de travail. Un autre problème sera d’évaluer à quel degré d’association une image mérite d’intégrer la métabase. Le traitement de ces données-limites fera aussi la valeur du travail spécifique d’indexation (Vincent Debiais).
Isabelle Marchesin souligne que le travail d’indexation sera envisagé dans une perspective analytique et non catalographique, la base constituant un support d’interprétation. Les éléments signifiants susceptibles de jouer un rôle de premier plan pourraient être les suivants :
- La question de la gestuelle ; 
- Les résonances formelles et chromatiques de cette dernière (exemple du psautier
de Charles le Chauve) ; 
- Les contacts entre les éléments signifiants ; 
- Les nombres musicaux.
Concernant les modes de communication entre les intervenants, Frédéric Billiet annonce la création d’une newsletter, d’un site web (diffusion d’une bibliographie), et l’association de l’équipe du projet au forum des musiques médiévales de C. Brassy (afin de pouvoir bénéficier de l’expertise de spécialistes de la musique médiévale, d’interprètes et de luthiers). Vincent Debiais ajoute qu’une fiche de liaison entre les indexants et les testeurs de la métabase permettrait de valider son fonctionnement.Isabelle Marchesin signale la nécessité que les indexants puissent accéder rapidement aux données hébergées sur les bases-sources. Un consortium devra être établi pour la communication des documents.

• La construction de la métabase :
Tous les corpus sont concernés par la conception du modèle d’indexation dès le lancement du projet. L’intégration des bases-sources dans la métabase s’échelonnera à partir du premier semestre 2012.

Xavier Fresquet présente un calendrier pour la construction de la métabase (fonctionnement par semestres civils) :

1. De novembre 2011 à février 2012 : réalisation de la base de données Musiconis et administration des données (back-end) ;

2. Décembre 2011 : conversion des données de Romane pour premier import ;
3. Janvier 2012 : conversion des données de Musicastallis pour premier import ;
4. Février 2012 : début du travail des indexants sur le back-end Musiconis (avec les données de Romane et de Musicastallis) ;
5. Février 2012 : travail sur la base File Maker de l’APEMUTAM pour le chargement des données sur Musiconis ;
6. De mars à mai 2012 : outil pour l’import des modifications des bases (d’abord, pas de format XML -> dump au format SQL ou CSV des données ; puis, un outil permettra d’analyser ce dump, d’importer les nouvelles données (fiches), et les changements de valeurs) ;
7. Juin-juillet 2012 : travail sur une déclinaison de front-ends pour Romane et la base de l’APEMUTAM ;
Fin juin 2012 : point d’étape technique.
8. Juillet-août 2012 : prototypage d’un format XML pour l’échange des données (évolution sur plusieurs mois à prévoir).

Plusieurs discussions portent sur les relations entre les bases-sources et la métabase.
Les données de la métabase ne s’imposeront pas aux bases connexes ; il n’est pas dans la mission des indexants de remettre en question les informations figurant dans les bases- sources, à l’exception de celles qui concernent l’iconographie musicale (Isabelle Marchesin).
Isabelle Marchesin : Sera-t-il possible d’interroger, à partir de la métabase, des critères renseignés sur les bases-sources ? notamment la question de l’emplacement des images dans un monument, le type de support, les thèmes associés à l’iconographie musicale... Comment gérer les écarts terminologiques existant entre les différentes bases ?
Claude Montacié : Les questions sémantiques pourront être traitées informatiquement, sans besoin de réindexer les informations.
Les doublons entre les bases-sources seront gérés en privilégiant une seule fiche dans la métabase.
Welleda Muller