vendredi 13 juillet 2018

C. Vendries : Le musicien des jeux dans la Rome antique et les lieux de spectacle.


Le musicien des jeux dans la Rome antique et les lieux de spectacle : performance, acoustique et lieux de spectacle.
Par Christophe Vendries (Univ. Rennes II).
Communication du mercredi 17 mai 2017, INHA, salle Fabri de Peiresc.

Compte rendu de la conférence : Boris Courrège, 30 mai 2017.

Depuis que les jeux publics à Rome sont envisagés dans leur dimension anthropologique, la question des performances et de la perception sonore est davantage prise en compte. La relation entre les musiciens et les lieux de la musique est encore un domaine peu étudié. Les sources de documentation sont abondantes, dans la littérature et dans l’iconographie, et font émerger une « culture commune » des spectacles à l’échelle de l’Empire. La difficulté majeure est de situer le musicien dans un contexte et dans un espace bien déterminés, aucun document n’identifiant clairement la place qui lui est dévolue. Tertullien déclare que les spectacles s’adressent « aux yeux et aux oreilles », ce qui évoque pour nous l’idée d’un « spectacle total ». Le musicien y est rarement l’acteur principal, mais il accompagne l’acteur, le gladiateur, le magistrat. La seconde difficulté est d’identifier le contexte du spectacle représenté : est-ce la commémoration d’un spectacle précis, ou bien le témoignage d’un attachement à la culture classique ? Aussi la lecture de ces images reste-t-elle ouverte.

Les monuments fournissent les formes adaptées aux différents types de jeux ou ludi : le théâtre (jeux scéniques), l’odéon (poésie et théâtre), l’amphithéâtre (gladiature et chasses), le cirque (courses de char), et le stade (jeux gymniques).Un document nous plonge dans l’ambiance des jeux d’une cité italienne : le relief de Castel Sant’Elia, où figure au centre de la scène d’un théâtre le magistrat municipal, tandis que joue un tibicen, joueur de tibia, ou de double hautbois, dont on ne sait s’il se trouve sur la scène ou s’il joue pour la cité. Dans une salle à manger, ou triclinia, d’une villa de Miriamin, en Syrie, une mosaïque présente un ensemble de musiciens sur une estrade en bois : joueurs d’orgue, de cithare, de crotales, d’auloi. Ici intervient de nouveau la difficulté de la contextualisation. Le domaine scénique est le plus abondamment traité dans l’iconographie, le théâtre étant le lieu privilégié de la musique, et le tibicen en est le principal musicien, comme nous l’apprennent les didascalies des comédies de Térence. L’iconographie diffuse les cartons hellénistiques, comme l’illustre une série de documents montrant une même scène du théâtre de Ménandre (dans son Théophorouménè), où figurent des joueurs de cymbales, de tympanon, un acteur soufflant dans des auloi à travers son masque, etc., reprise de multiples fois à travers les lieux et les époques jusqu’au IIIe s. Entre temps, les cartons hellénistiques ont été « réactualisés », les auloi grecs ayant fait place aux tibia romaines.

Par ailleurs, on constate une hybridation entre les concours musicaux et les jeux latins, comme le montrent les pavements d’époque tardive (vers 400) de la villa de Noheda en Espagne, située à l’écart des grandes cités, qui présentent des scènes de pantomimes et de jeux dans la tradition grecque, où l’on reconnaît le proscaenium d’un théâtre romain, et où se produisent mimes et musiciens (joueurs d’orgue, d’auloi, de cithare). La question de la contextualisation se pose d’autant plus qu’à la même époque les théâtres, qui ont cessé de fonctionner, sont détruits. Une énigme analogue est posée par la mosaïque du palais de Piazza Armerina en Sicile, d’époque tardive elle aussi (vers 330).

L’autre grand domaine est celui de la gladiature, qui jouit d’une grande popularité et tend à détrôner le théâtre. Les musiciens y occupent une grande visibilité, bien que simples auxiliaires, et sont essentiellement représentés par les joueurs de cornu, trompette droite, et de tuba, trompette courbe. Ici encore, la place précise dans l’amphithéâtre reste indéterminée. Une gemme du 1er s. ap. JC. montre des joueurs de cornu et de tibia accompagnant les gladiateurs et l’arbitre. Un relief de Fiano Romano montre un cornu sonnant la mort d’un gladiateur. Ces instruments suppléent peut-être à la mauvaise acoustique du monument, qui nécessite une portée sonore puissante, quoi que leur emploi se justifie aussi par leur évocation des thèmes de la  mort et de la guerre. Quelquefois ils sont accompagnés d’un orgue, comme on le voit sur la mosaïque de Nennig, en Allemagne, ou sur celle de Zliten en Tunisie, où une femme organiste est entourée de cornicines et d’un tubicen, ce qui laisse supposer de plus grandes possibilités mélodiques.

Le tubicen intervient par ailleurs au cirque, dont la qualité acoustique est encore plus faible. Sur une mosaïque de Piazza Armerina, il prend place sur l’arène, alors qu’on s’attendrait à le trouver en tribune. Il accompagne également les jeux gymniques aux thermes de Baten Zemmour en Tunisie, dont les mosaïques répertorient les diverses épreuves, alors qu’un aulète rythme les sauts d’un athlète, en conformité avec le Traité de gymnastique de Philostrate (IIIe s.).

En conclusion, alors que se pose la question de la pérennité de la tradition des spectacles à travers l’histoire romaine, une transmission s’est opérée à l’époque de l’Empire byzantin, lequel conserve dans son cérémonial les courses de char, comme l’illustre l’Obélisque de Théodose, dont la partie basse met en scène deux orgues, représentant les factions, des danseurs et musiciens, tandis que l’empereur figure dans sa loge, perpétuant ainsi le rapport entre les spectacles et le pouvoir.




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