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Sainte Claire, fragment d'antiphonaire |
Iconographie des Graduels
et Antiphonaires des XIIe et XIIIe siècles
Alison Stones
• Résumé de l’intervention :
Un fragment d’antiphonaire mis en vente récemment par
Christies comporte de la notation musicale, ainsi que de nombreuses
illustrations. Les lettrines sont généralement en lien direct avec le texte en
offrant des images renvoyant aux différentes fêtes de l’année liturgique.
Certaines pages sont également ornées de marginalia, qui viennent souvent former
un contre-point de l’image principale, bien qu’il soit difficile de
systématiser cette hypothèse et a fortiori de l’étendre au « genre »
marginal en général. Le genre a d’ailleurs été souvent étudié, sans que
d’importantes découvertes fussent apportées ; Alison Stones cite les
ouvrages qui font autorité sur la question, principalement ceux de L. Randall
(notamment Images in the Margins of
Gothic Manuscripts, Berkeley, 1966), M. Camille (Image on the Edge. The Margins of Medieval Art, London, 1992) et
l’ouvrage collectif dirigé par J. Wirth (Les
marges à drôlerie des manuscrits gothiques, Genève, 2008). Il est cependant
intéressant de préciser que les marges de ce manuscrit sont très souvent
peuplées de singes (notamment des singes jouant aux boules). Cet antiphonaire
fragmentaire est également remarquable par son unité stylistique marquée par
des visages très expressifs (notamment dans les jeux de regards), encadrés de
boucles de cheveux arrondies ; les drapés sont mobiles, les petites
architectures, nombreuses en arrière-plan, sont très détaillées avec la
récurrence de l’appareillage ; les auréoles sont ornées de pointillés,
etc. Si cet antiphonaire comporte des éléments iconographiques assez fréquents
dans la peinture de manuscrit, il y a néanmoins quelques lettrines à la
thématique plutôt rare. C’est le cas du Christ envoyant les apôtres prêcher et
de Noé construisant l’arche, ressemblant plutôt à une barque ici, debout à
l’intérieur, en référence à la période de jeûne du Christ. Toutes les initiales
ne sont cependant pas historiées, certaines sont faites d’entrelacs végétaux,
dans lesquels apparaît parfois un hybride et des animaux. Dans une marge, un
chevalier tient un blason du comte de Flandre, ce qui peut nous renseigner sur
le lien de fabrication de ce manuscrit. D’autres indices permettent de placer
ce manuscrit dans le contexte d’un couvent de nonnes franciscaines ;
notamment la présence de plusieurs moines franciscains dans les lettrines, et
surtout celle de sainte Claire tenant une monstrance face à une nonne, qui est
en outre une iconographie fort rare.
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Noé, fragment d'antiphonaire |
Quoi qu’il en soit, il est particulièrement intéressant
de noter que ces antiphonaires et graduels des XIIe et XIIIe
siècles ne comportent pratiquement pas d’images de musiciens. Les manuscrits
les plus anciens sont même dépourvus de scènes historiées. Les initiales sont
alors ornées de feuillages et de filigranes souvent en bichromie. Il faut
attendre le Graduel de Saint-Denis pour voir apparaître des personnages en
forme de lettre. Mais ce manuscrit ne contient encore que cinq initiales
historiées sur quatorze. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certaines
de ces lettres ornées résument le mot qui n’est alors pas écrit en entier.
L’idée de l’activation de la mémoire pour une image (qui peut être issue de la
typographie) est alors renforcée. Le Codex Calixtinus Jacobus, comporte
quelques portraits, notamment celui de saint Jacques (nom du manuscrit) dont
l’iconographie est très proche de celle du Christ, comme une sorte
d’appropriation de celle-ci. Les autres éléments décoratifs de ce codex sont
des rinceaux de feuillages, parfois peuplés de dragons et des lettres
filigranées ; cependant, certains ornements ont été ajoutés plus tard, au
XIIe siècle. On dénombre douze manuscrits du Jacobus, parmi eux
seulement quart contiennent de la notation musicale, notamment des chants de
pèlerinage, mais pas d’images de performance musicale.
Les premières images musicales apparaissent dans le
Graduel de Saint-Denis au XIe s puis dans le Graduel à l’usage de
Fontevrault au XIIIe s ; toutefois la majorité de son
iconographie fait référence aux fêtes célébrées par la musique notée sur la
page. La production est certainement parisienne et semble mettre en valeur la
figure de la Vierge. Également réalisé à Paris, au milieu du XIIIe
siècle, l’antiphonaire de Pierre de Medicis comporte en revanche quelques
exemples d’une iconographie très particulière : la personnification de la
musique. Celle-ci apparaît trois fois en trois registres superposés pour un
frontispice composant ainsi la musique spirituelle, humaine et instrumentale.
Mais ce manuscrit est exceptionnel à bien des égards. Il comporte aussi une
initiale avec trois chantres, iconographie empruntée aux psaumes.
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Codex Calixtinus Jacobus |
Il paraît ainsi
évident que l’iconographie des graduels et des antiphonaires n’est pas
musicale, même si les manuscrits comportent souvent de la notation musicale.
Cette iconographie musicale est en revanche beaucoup plus fréquente dans les
romans.
- Problématique de l’absence
d’iconographie de la performance musicale dans des manuscrits comportant de la
notation musicale. Une piste pourrait être ouverte avec l’idée que le chant
prédominerait sur la musique instrumentale. En outre la notation est déjà une
image du son.
- Alison Stones en conclu que la notation
prédominait sur l’image dans les graduels et antiphonaires des XIIe
et XIIIe siècles. Ce qui n’est pas le cas pour les bibles d’autels
et les missels destinés à être vus de loin posés sur des lutrins, où c’est
l’image qui prédomine par rapport au texte. Les psautiers sont encore des cas à
part, puisqu’ils regorgent d’iconographie historiée et d’iconographie musicale
qui plus est (voir à ce sujet G. Haseloff « Die Psalterillustration im 13.
Jahrhunderts : Studien zur Geschichte der Buchmalerei iin England, Frankreich
und der Niederlanden », 1938).
- La logique interne des manuscrits est
rappelée : le texte était copié, puis la notation musicale (ce qui
implique que le copiste ou l'organisateur du manuscrit connaissant les chants
et savait la place qu’il fallait leur laisser sur la page), puis enfin les
enluminures étaient réalisées. Ces manuscrits étaient avant tout des
« outils » liturgiques.
- Le concept de musique allant au-delà de
la performance est évoqué par Isabelle Marchesin. Celui-ci peut en effet
s’exprimer dans les divers rapports que l’homme entretient avec ses semblables,
mais aussi avec le divin ; les enjeux mathématiques dans l’idée de
perfection des accords, par exemple, etc.
- Frédéric Billiet ajoute que le livre
représente l’autorité : il permet d’activer la mémoire par sa simple
ouverture. À l’origine, la première notation musicale n’était d’ailleurs qu’une
indication de hauteur et non de note spécifique.
- Selon Isabelle Marchesin, ces ouvrages
illustrés pourraient aussi permettre d’aller plus loin que la
« simple » activation de la mémoire ; ils pourraient être des
supports de méditation, engageant le corps et l’esprit ; des supports
didactiques en quelque sorte, qui permettait une imprégnation du fidèle.
-
Les jeux de regards semblent très importants avec les personnages des
lettrines.
Welleda Muller
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